Rigobert KABWITA KABOLO IKO
(Directeur Général de l’Institut de Recherche en Géopolitique et d’Etudes Stratégiques et Secrétaire Général Académique de l’Université Pédagogique Nationale, Kinshasa-RDC)
RESUME
De longues décennies de guerres et de dictature militaire ont caractérisé la République de Corée avant qu’elle ne soit admise dans le concert des nations industrialisées vers la fin du XXe siècle, contrairement à son voisin, la République Démocratique Populaire de Corée, restée jusqu’il y a peu complètement en marge des rendez-vous globalisants et donc de la diplomatie internationale. Les élections qui se déroulent depuis quelques dizaines d’années en Corée du Sud sont d’après diverses observations libres, réellement démocratiques, et le pouvoir des élus est jugé effectif, avec un farouche engagement politique, malgré la très forte concentration dans le secteur économique (les Chaebols exerçant la « totalité du pouvoir économique »), mais aussi en dépit de l’influence plus ou moins imposante des Etats-Unis qui considèrent la péninsule coréenne comme un espace hautement stratégique.
Parallèlement on est en droit de considérer que la République Populaire Démocratique de Corée (RPDC), au Nord, est perçue comme ayant tous les attributs d’un Etat non démocratique (absence d’élections démocratiques, violation des droits de la personne humaine, culte de l’autorité suprême, timonier et garant de la nation, etc.) Quelle que soit la durée de son existence (depuis 1949) et son appartenance à l’ONU, elle n’a été jusqu’il y a peu ni acceptée encore moins approchée par le monde occidental (notamment les Etats-Unis et les pays représentatifs de l’Europe de l’ouest comme la France, le Royaume Uni et l’Allemagne, même si ce dernier pays se démarque quelque peu dans ses propositions de service en vue d’une possible réunification de la péninsule).
Le récent rapprochement diplomatique entre les deux Corées comme tremplin de réconciliation et en particulier le problème d’une probable réunification – quoi que lointaine, semble-t-il – est une problématique de grande actualité. Elle est même, à tout prendre, persistante et semble augurer une réconciliation effective qui pourrait aboutir, comme relevé, à long terme certes et on ne peut s’imaginer mieux, à une réunification plus ou moins définitive…
Mots-clés : Rapprochement diplomatique, réconciliation, équilibre stratégique.
INTRODUCTION
Plus de soixante ans après la fin de la guerre qui a conduit à la scission de la Corée en deux Etats distincts, jamais un traité de paix n’a été signé pour rationaliser les relations entre les deux entités. Dès la division confirmée dans les années 50, la réunification par le truchement d’un rapprochement diplomatique s’avérait un des enjeux essentiels entre les deux Corées.
Aujourd’hui plus que jamais, la démarche diplomatique entre les deux nations sœurs du pays de matin paisible semble cruciale, non seulement pour la sécurité et le développement des deux peuples frères-ennemis, mais également pour la stabilité et la prospérité de l’Asie du Nord-Est. Un constat de taille : pendant de longues périodes, plusieurs éventualités de rapprochement pouvant aboutir à une réconciliation d’abord, puis à une réunification longtemps rendue improbable, ont été envisagés ; nonobstant, les différents schémas proposés ont donné chaque fois lieu à des limites infranchissables et, pendant ce temps, les tensions sont allés crescendo, renforçant la militarisation des deux Etats, celui du Nord comptant sur des moyens propres et locaux, celui du Sud très soutenu par un dispositif impressionnant et hautement dissuasif américain.
Si l’on veut plonger dans l’histoire si embrouillée du siècle dernier, il sied de rappeler que bien avant la Seconde Guerre mondiale, la péninsule de Corée ou la péninsule coréenne est une propriété partagée par le Japon et la Chine, avant donc sa partition en deux Etats distincts. Après cette deuxième grande guerre, la Corée du Sud sera occupée par les Etats-Unis et la Corée du Nord par les Russes soviétiques. Dans le cadre de la guerre froide et des guerres par procuration, cette situation conduira à un conflit armé meurtrier entre les deux pays et leurs alliés respectifs ; un cessez-le-feu sera signé en 1953.
Deux États indépendants vont donc être créés par la seule volonté des deux grands vainqueurs de la grande guerre : la Corée du Sud, autrement appelée République de Corée deviendra un Etat capitaliste, mais connaîtra plusieurs péripéties avant sa réelle démocratisation, et la Corée du Nord ou République Populaire Démocratique de Corée s’érigera en Etat communiste sous une forme de régime autoritaire assez particulier.
Point n’est besoin de relever que depuis l’ébranlement de la péninsule, un antagonisme et un conflit assez ouvert opposent les deux Etats, chacun d’eux soutenu par son « protecteur ». La Corée du Nord (Capitale : Pyongyang) est dirigée par la dynastie Kim, dictateurs en trois générations de père en fils, tandis que la Corée du Sud (Capitale : Seoul) est dirigée par Moon Jae-in depuis le 10 mai 2017 après la destitution de Park Geun-hye par le parlement puis par la procédure constitutionnelle ad hoc.
Présentement, l’un des défis des plus difficiles pour la diplomatie internationale est celui d’intégrer la Corée du Nord dans le concert des nations. Son pouvoir est qualifié de totalitaire, ce qui par conséquent la rend marginalisée, isolée, et même parfois moquée, son économie est en ruine, bien que le régime de Kim Jong-un parvienne à survivre, notamment en exerçant des menaces sur la communauté internationale pour obtenir d’elle des concessions. Ses ambitions nucléaires mettant sérieusement en danger la sécurité régionale risquent d’avoir des répercussions au niveau mondial si on y prend garde, en dépit du ballet diplomatique activé cette année.
Pourquoi donc une activation internationalisée d’une diplomatie visant à rapprocher les deux Corées pourtant très longtemps antagonistes et ne jurant que sur l’anéantissement de l’une vis-à-vis de l’autre ? A quoi conduirait une diplomatie aussi engagée alors qu’il s’agit d’orienter vers les mêmes horizons deux régimes diamétralement opposés ?
Un changement lumineux s’est opéré à la tête de la Corée du Sud lors de l’avènement du Président progressiste Moon Jae-in. Ce dernier s’inspire largement de la sunshine policy (politique du rayon de soleil), mise en place par le président Kim Dae-jung en 1998 et poursuivie par Roh Moo-hyun jusqu’en 2008. Cette politique, comparaison n’est pas raison, légèrement inspirée de l’Ostpolitik allemand ou encore de la stratégie russe de l’étranger proche, prône un rapprochement entre les deux Corées. Il s’agit d’une démarche visant à traiter avec son voisin nord-coréen, afin d’éviter les menaces d’une politique d’ostracisation. N’ayant aucune illusion sur le régime de Pyongyang, les démocrates sud-coréens estimeraient qu’à l’image de l’ouverture des relations entre Allemagne de l’Ouest et Allemagne de l’Est ayant conduit à la réunification et à l’érection d’une nouvelle nation, un rapprochement, y compris économique, permettrait un atterrissage en douceur du régime nord-coréen.
Le nouveau président sud-coréen estime surtout que la politique antagoniste avec la Corée du Nord n’aurait abouti à rien, notamment pas à un apaisement des tensions. Il est donc question d’une autre forme de réalisme : conscient que la Corée du Nord ne renoncera pas à ses armes nucléaires, il pense que la multiplication des contacts, la réouverture des usines en zone franche et une approche plus économique, peuvent éventuellement conduire Pyongyang, si ce n’est à dénucléariser ou à devenir une démocratie, tout au moins à se montrer plus flexible et plus coopérative.
Dans cette réflexion qui s’inscrit dans une démarche dialectique, sur des principes retenus par Loubet, nous allons privilégier la recherche des contradictions sur la question coréenne, en mettant en relief, les oppositions, les conflits, les luttes, les contraires et les comportements aux antipodes des solutions propices. Nous appuyant sur une approche historique, nous allons retracer les origines de la séparation entre les deux Corées, puis analyser les initiatives de rapprochement diplomatique à travers les prises de position et les perspectives concernant la réunification coréenne et enfin nous tenterons de révéler les différents scénarios concernant la probable réconciliation et l’équilibre stratégique dans la sous-région.
I. AUX ORIGINES DE LA SEPARATION DES DEUX COREES
Les recherches foisonnent et on ne peut toutes les évoquer ici, tentant de répondre à une question qui démange autant d’esprits : « pourquoi y a-t-il deux Corées plutôt qu’une seule ? » Il faut bien devoir remonter l’histoire des siècles précédents pour pouvoir y répondre un tantinet, partant de la prédation des peuples voisins à l’internationalisation de la péninsule, en passant par des antagonismes de tous genres.
De vrai, la « question coréenne » plonge ses racines dans la formation économique et sociale, dans les structures étatiques et les valeurs culturelles, qui se figèrent durant la très longue dynastie Yi (1392-1910), celle du royaume de Choson, le « pays du matin frais ». Pour ne nous intéresser qu’à l’histoire contemporaine, notons que l’Empire de Tachan fusionne avec la péninsule coréenne entre 1897 et 1910. Après cette date, le territoire passe sous influence japonaise et fait en même temps l’objet de convoitise de la part de la Russie qui possède aussi des ambitions territoriales sur la Mandchourie. Après la guerrerusso-japonaise dont le Japon sort vainqueur, ce dernier étend sa domination sur la Corée par le biais d’un protectorat contesté par la population. En guise de représailles après l’assassinat de son représentant, le Japon annexe le pays et dépose son empereur. La Corée devient alors la province japonaise de Chosun.
A l’issue de la Seconde Guerre mondiale qui voit la reddition du Japon le 15 août 1945, la Corée est divisée à hauteur du 38ème parallèle en deux zones d’importance à peu près égales. Au nord, l’Union soviétique favorise un régime communiste dont l’homme fort est le secrétaire du Parti du Travail et ancien résistant à l’occupation japonaise,Kim Il-sung, tandis que le sud soutenu par les Etats-Unis d’Amérique est dirigé avec une poigne semblable par un vieux leader nationaliste, vigoureusement anticommuniste, Syngman Rhee. La Corée ainsi divisée constitue l’un des premiers épisodes de la Guerre froide, mais en réalité, les Coréens vont, chacune des deux communautés à sa façon, longtemps entretenir le rêve d’une réunification plus ou moins rapide[1].
I. 1. Colonisation japonaise
C’est sur la Corée comme enjeu que le Japon fit la guerre à la Chine entre 1894 et 1895. Une fois l’empire du milieu (la Chine) humilié, la rivalité se circonscrivit entre l’empire russe (nouvelle puissance continentale) et le Japon ou l’empire du Soleil levant (puissance maritime émergente). L’archipel avait eu l’habileté de conclure, en 1902, une alliance avec la Grande-Bretagne dirigée contre la Russie. Puis, par l’accord Taft/Katsura de 1905, les États-Unis reconnaissaient les « intérêts » du Japon à l’endroit de la péninsule coréenne tout en imposant leur domination sur les Philippines. Aussi la feuille de vigne du protectorat placée sur la Corée en 1905 tomba-t-elle cinq ans plus tard et fut remplacée par une annexion pure et simple par le Japon[2].
Comme on peut s’en convaincre, tout a donc commencé par l’établissement d’un protectorat en 1905, consolidé par la création de la Toyo Takushoku Kabushiki Kaisha (Compagnie orientale de mise en valeur) en 1908, la création de la Banque de Corée en 1909 avec imposition d”une monnaie unique, la délocalisation des zaibatsus (grand groupe d’entreprises présentes dans presque tous les domaines de l’économie) dans les années 1930 afin d’industrialiser la Corée et de produire des armes au plus près du front chinois après 1937.
Ce protectorat, il sied d’y revenir, d’abord établi par le traité de Portsmouth qui clôt la guerre russo-japonaise, est confirmé par divers accords bilatéraux. Le plus important d’entre eux est le pacte Taft-Katsura que nous venons d’évoquer, signé entre le ministre américain de la guerre W.H. Taft et le premier ministre japonais Katsura Taro. Cette occupation est renforcée par la signature d’un traité d’annexion en août 1910. Bien que les différents actes établissant ce protectorat, puis cette annexion, aient été signés sous la contrainte dans le cadre d’une «politique de la canonnière », les japonais désignent cette annexion sous le nom de nikkan heigô, la fusion nippo-coréenne. Le Japon prit durement en main la péninsule, et exerça une domination souvent qualifiée d’impitoyable, nettement freinée par la résistance des Coréens.
La colonisation japonaise effective ne dura que trente-cinq ans, mais eut des effets aussi bien décisifs que dévastateurs. La résistance fut forte durant la première décennie, qui déboucha sur le soulèvement national du 1er mars 1919, mais la répression brutale et l’établissement d’un système généralisé de contrôle parvinrent à maintenir l’ordre durant les deux décennies suivantes. La résistance se poursuivit à l’extérieur de la péninsule ou dans l’exil intérieur des lettrés patriotes et à travers les conflits sociaux qu’animaient les communistes.
Les Coréens retiennent à juste titre de la colonisation japonaise l’humiliation nationale, l’obligation d’apprendre le japonais, l’imposition du culte impérial et du shintoïsme d’État, bref la négation même de l’identité coréenne. L’impérialisme nippon présenta néanmoins cette particularité d’avoir voulu intégrer la Corée, Taiwan, et ensuite l’État fantoche du Mandchoukouo, au noyau du système productif qu’il cherchait à rendre autonome à partir d’un archipel aux dotations limitées, les débouchés devant être trouvés en Chine même.
La « guerre de quinze ans » (1931-1945), ouverte par l’« incident de Mandchourie », accéléra considérablement le processus. La ligne du colonisateur avait pour slogan « naisen ittai » (deux peuples, un seul corps) et se traduisit par une intense mobilisation de la population, à travers la propagande, l’école, les « associations patriotiques », les organisations de jeunes, le recrutement de policiers (près de la moitié des agents de la Police nationale étaient coréens) et d’indicateurs, la conscription[3], la formation d’officiers, la participation supplétive à la colonisation de la Mandchourie et aux conquêtes ultérieures, les migrations de plus en plus forcées vers l’archipel. Au début de 1945, deux millions de Coréens, hommes et femmes, travaillaient au Japon où, dans des conditions d’une extrême dureté, ils constituaient un tiers de la main-d’œuvre ouvrière, pendant qu’entre 100 et 200 000 Coréennes furent contraintes de servir de « femmes de réconfort » dans les bordels militaires de Sa Majesté impériale[4].
La domination japonaise méprisa la majeure partie de la population coréenne, pour deux raisons principales : les Japonais n’avaient pas préparé cette annexion qu’ils estimèrent dès le départ trop coûteuse et qu’ils cherchèrent à rentabiliser en modernisant un « pays archaïque » : les Japonais méprisaient les Coréens, peuple vaincu, jugé mou et peu travailleur.
A la veille de la Seconde guerre mondiale, 20% de la production industrielle japonaise provenait de la Corée. Deux millions de Coréens ont été directement réduits en esclavage durant la Seconde guerre mondiale. Certains sont partis travailler au Japon volontairement pour échapper aux dures conditions de travail en Corée, tandis que d’autres ont été déportés pour répondre aux besoins de l’industrie nippone au moment de la guerre sino-japonaise (1937-1945).
Il est important de noter que durant la colonisation, des Coréens vont collaborer bon gré mal gré avec le régime local mis en place par les Japonais. A la fin de l’occupation, les natifs qui s’étaient adossés aux colons ont pu accéder à des fonctions importantes en République de Corée. Le rôle jugé symbolique de la résistance dans la formation des deux Etats nations concurrents aura complexifié la question de la collaboration en Corée. Mais qui sont ces résistants ?
I. 2. Soulèvements et envie de libération
Dès le début de la colonisation et assez rapidement, un sentiment fortement hostile au colonisateur se développa. Des soulèvements populaires eurent lieu. A la seconde conférence de la Haye en 1907, les officiels du régime protestèrent publiquement contre le protectorat japonais.
Le 26 octobre 1909, le représentant du Japon en Corée Hirobumi Ito fut assassiné à Harbin en Mandchourie. Après le traité d’annexion du 28 août 1910, arrestations arbitraires, tortures et brimades furent couramment utilisées par le colonisateur japonais, afin de briser l’opposition et d’asseoir le régime colonial.
Cette opposition contre le colonisateur se manifesta aussi au moment des funérailles du dernier roi de Choson, Kojong, mort dans son palais de Toksu. Les funérailles du 1er mars 1919 donnèrent lieu à un vaste mouvement de protestations, le mouvement Samil Undong (mouvement coréen pour l’indépendance), avec une proclamation d’indépendance rédigée par un comité réunissant tous les intellectuels du pays et s’inspirant des 14 points du président Wilson (nom donné au programme du président des Etats-Unis Woodrow Wilson pour mettre fin à la première guerre mondiale).
En représailles aux manifestations mobilisant tout le pays, des millions des protestataires furent réprimés, voire dans le sang. Environ 7000 opposants furent tués, dont certains sous la torture, et 40 000 jetés en prison. Menacés de massacre, expulsés de leurs terres au profit des colons japonais, de nombreux Coréens choisirent le chemin de l’exil. Certains s’orientèrent vers la Mandchourie, terre traditionnellement proche de la culture coréenne, qui a été longtemps une partie des royaumes coréens (Baekjche, Koguryo et Choson) ; d’autres acceptèrent l’émigration au Japon. Dans les années 1920, la littérature coréenne connut un renouveau, entamé dans les premières années du siècle, appelé shinmunhak (littérature nouvelle).
Ce mouvement qui va compter surtout des poètes fît un grand usage de vers libres, et s’écrivit en hangul, l’alphabet typiquement coréen. Choe Namson prît la tête de file de ce mouvement. Les idées développées dans la littérature en question conduisit à la formation d’un gouvernement coréen en exil, le 19 mars 1919, sous la direction de Rhee Syng-man, dans la concession française de Shanghai. En 1932, il plaida la cause de son pays devant la Société des Nations. Le 9 décembre 1941, il déclara la guerre à l’Allemagne et au Japon et créa l’Armée pour la Restauration de l’Indépendance. Enfin en 1943, il participa à la conférence du Caire (tenue du 22 au 26 novembre 1943 portant sur le Japon et sur l’Asie) qui prévoyait l’indépendance de la Corée.
Des activistes coréens s’étant réfugiés en Mandchourie formèrent des commandos qui lancèrent des raids en Corée, ou harcelèrent les colons japonais du Mandchoukuo (nom de la colonie japonaise de Mandchourie en japonais). Parmi eux se trouva Kim Il-sung qui intégra le parti communiste coréen fondé en 1925. Il créa d’abord l’union pour abattre l’impérialisme japonais en 1926, puis, le 25 avril 1932, l’armée de guérilla populaire anti-japonaise qui devint ensuite l’Armée révolutionnaire populaire de Corée. Le 5 mai 1936, il créa en Mandchourie l’Association pour la restauration de la patrie.
Ces groupes furent nonobstant plus utilisés par le Parti communiste chinois pour lutter en Chine contre les Japonais. Certains activistes décidèrent de rejoindre le Kuomintang, le parti nationaliste chinois, pour également lutter contre les Japonais en Chine. La farouche résistance coréenne à l’occupation japonaise, menée notamment en Corée, en Chine et en Union Soviétique par les troupes communistes de Kim Il-sung, valût au gouvernement provisoire coréen en exil à Washington et dirigé par Rhee Syng-man d’obtenir des grandes puissances l’indépendance de son pays à la conférence du Caire de 1943.
Au-delà, dans un environnement intellectuel qui exaltait la résistance et n’avait que peu d’intérêts à analyser la collaboration dans toute sa complexité, il était hors de question de soumettre à la critique historique la thèse qui présentait la période coloniale comme une lutte permanente opposant un petit groupe de riches collaborateurs à une écrasante majorité de coréens appauvris résistant aux Japonais.
Que les Coréens se soient longtemps et audacieusement confrontés à l’autorité japonaise, cela a été démontré par plusieurs historiens ; en revanche aucun mouvement de résistance organisé et actif dans la péninsule coréenne ne se développa à la fin de la période coloniale, compromettant la forte unité d’un seul et même peuple qui aurait pu, aurait dû empêcher son éclatement. En outre, alors que la population n’avait pas d’autre alternative que de subir les politiques répressives, beaucoup d’éminents coréens, nous l’avons relevé, collaborèrent activement au développement de l’empire japonais, de telle sorte que la gestion de l’indépendance au sortir de la guerre froide s’avéra on ne peut plus ardue. Il nous semble même que des traces de cette collaboration se retrouvent à de nombreux niveaux de la bureaucratie, de la police, de l’armée et de l’industrie sud-coréenne…
Pour tenter de préciser tout cela, Patrice Jorland estime que la libération coréenne espérée n’a pas été le fruit d’une lutte coordonnée, mais le résultat de la victoire des Alliés. La colonisation avait su se trouver des collaborateurs ; le mouvement national était émietté en une multitude de groupes, chapelles et factions ; deux tendances nettement tranchées existaient, la droite nationaliste, idéologiquement proche de Tchang Kaï-chek, violemment antijaponaise mais réceptive aux transformations sociales, tout particulièrement à la réforme agraire, et la gauche, dominée par les communistes, qui associait la libération nationale à l’établissement d’un nouvel ordre social. Celle-ci trouvait une large assise sociale dans la paysannerie pauvre, la jeune classe ouvrière et une bonne partie de l’intelligentsia, ouverte aux idées neuves et au socialisme par les traductions japonaises ; celle-là s’appuyait sur l’aristocratie terrienne, la bourgeoisie marchande et industrielle en formation ; l’une et l’autre rivalisaient pour attirer les catégories que la colonisation avait gonflées (lumpenprolétariat et toute petite bourgeoisie urbaine) ou rendues flottantes, jeunesse mobilisée, migrants… Bref, les tensions étaient extrêmes et, une fois de plus, question nationale et question sociale étaient étroitement imbriquées, dans la mesure où une bonne partie de la base sociale de la droite nationaliste avait collaboré[5].
Il renchérit pour faire savoir que pendant un temps, la Corée se retrouva au premier plan de l’actualité internationale, le temps d’une guerre qui plaça le monde au bord du gouffre, puis fut rapidement oubliée au point de devenir obscure. Elle aurait commencé le 25 juin 1950 avec le franchissement de la frontière par les troupes de la RPDC et se serait terminée avec le cessez-le-feu signé à Panmunjom, le 27 juillet 1953[6]. Pourtant, cette « guerre » ne constitue que le troisième acte d’une tragédie ouverte sept ans plus tôt par l’ingérence étrangère, raison exogène qui a surdéterminé les raisons endogènes et empêché que la question coréenne ne trouve sa solution.
I. 3. Internationalisation de la « question coréenne »
A la conférence de Potsdam[7], il est décidé que les quatre Grands (Union Soviétique, Etats-Unis, Chine et Royaume-Uni) garantiraient conjointement l’indépendance de la Corée. Mais le sort de ce pays prend une autre tournure : peu après ces accords internationaux l’URSS et les Etats-Unis décident de désarmer ensemble l’armée japonaise présente sur la péninsule, les premiers au Nord, les seconds au Sud. Les Etats-Unis proposent alors le 38e parallèle comme ligne de démarcation. Entrée en guerre contre le Japon le 9 août 1945, l’URSS franchit peu après la frontière coréenne, alors que les Américains ne débarquent en Corée que le 8 septembre 1945, après la capitulation japonaise ayant entraîné le départ de la majorité des troupes japonaises de Corée.
Dans la zone sud-coréenne, Yo Un-hyong, un nationaliste de gauche, crée un « comité pour la préparation de l’indépendance de la Corée » à majorité communiste, qui proclame l’établissement d’une république populaire de Corée le 6 septembre 1945, opposé au gouvernement provisoire de Rhee Syng-man. Les Etats-Unis décident alors l’installation d’un gouvernement militaire à Séoul le 7 septembre 1945. Le général Hodge, chef des troupes américaines, supprime les comités de libération nationale et maintient les fonctionnaires japonais et coréens de l’administration impériale japonaise, tout en confiant le maintien de l’ordre à la police japonaise. La République de Corée n’a pas conduit d’épuration des collaborateurs pro-japonais de la nouvelle administration sud-coréenne, contrairement à la RPDC dans sa nouvelle administration.
Le gouvernement militaire américain déclare illégal la république proclamée le 6 septembre 1945 et démet Yo Un-hyong de ses fonctions. Rhee Syng-man rentre en Corée en octobre. La question de l’indépendance de la Corée ne peut être résolue qu’entre les deux Grands réunis au sein d’une commission américano-soviétique, dont les travaux commencent en janvier 1946. Suite à l’échec de ces travaux, les Etats-Unis font adopter par l’Assemblée générale des Nations-Unies en 1947, le principe d’élections en Corée, organisées sous l’égide de l’ONU, malgré l’absence de l’URSS au Conseil de Sécurité lors du vote, considérant les Nations-Unies comme une organisation pro-américaine.
En réponse, une conférence réunissant des organisations du Nord et du Sud se tient à Pyongyang en avril 1948. Des élections organisées dans la seule partie Sud dans le cadre de la résolution adoptée par l’ONU sur l’initiative des Etats-Unis se tiennent le 10 mai 1948 et conduisent à la désignation de Rhee Syng-man comme premier président de la République de Corée, le 15 août 1948, troisième anniversaire de la libération.
Des guérillas de gauche très actives s’opposent toutefois au nouveau régime sud-coréen dès sa fondation et sont vivement réprimées : dans l’île de Cheju, où la gauche a pris les armes, au moins 80 000 personnes (soit le quart de la population) sont massacrées en 1948 par les troupes d’occupation américaines, avec l’appui des forces coréennes de Rhee Syng-man.[8]
Au Nord de la péninsule coréenne, le comité populaire provisoire exerce les fonctions de gouvernement provisoire. La loi sur la réforme agraire du 5 mars 1946 abolit la propriété foncière féodale. La loi du 10 août 1946 nationalise les grandes industries, les banques, les transports, les postes et télécommunications. Le premier code du travail, établi par la loi du 24 juin 1946 et la loi du 30 juillet 1946, proclame l’égalité des sexes. Une campagne d’alphabétisation est conduite dès la fin de 1945, près du quart de la population nord-coréenne étant alors illettrée, fait-on savoir.
La politique communiste fut loin de faire l’unanimité. Par exemple, dès 1947, de très nombreux habitants de la province de Hwanghae, vaste zone agricole située juste au nord du 38ème parallèle sur la côte ouest de la péninsule, avait protesté contre le système de conscription mis en place par Kim Il sung. Leurs attaches culturelles, familiales avec le Sud étaient si fortes que certains fuirent dans les collines, quelques-uns prirent les armes et d’autres traversèrent la frontière.
Après la tenue à Pyongyang d’une conférence réunissant des organisations du Nord et du Sud en avril 1948, des élections législatives sont tenues le 25 août 1948. Elles sont organisées clandestinement au Sud. Le 9 septembre 1948, l’Assemblée populaire suprême ainsi élue proclame la République Populaire Démocratique de Corée à Pyongyang. On en peut en douter, et ce dernier imbroglio en témoigne plus que parfaitement, les armées soviétique et américaine eurent du mal à se retirer tout de suite de la Corée après la fin de la Seconde guerre mondiale.
Néanmoins, le 19 septembre 1948, l’Union soviétique informa les Etats-Unis qu’elle retirerait toutes ses troupes à la fin de la même année du territoire de la RPDC. Dans cet ordre, l’Assemblée Générale des Nations-Unies prît une résolution à l’initiative évidente de l’URSS appelant au départ complet des troupes américaines de la République de Corée. Le 25 décembre 1948, Moscou retira ses troupes du nord de la Corée comme prévu. Par contre, à cette date, les Etats-Unis avaient retiré 29 000 hommes de son armée du sud de la Corée en y conservant encore 16 000. Le président Rhee craignait de se retrouver face à face avec la RPDC et demanda aux Etats-Unis de ne pas retirer davantage de troupes. Le Département d’Etat américain réussit à retarder le départ du reste des troupes américaines.
Toutefois Mac Arthur, général américain opérant dans la guerre en Corée, insistât sur un fait : les éléments de troupes voulaient rentrer au pays le plus rapidement possible. Ils avaient peur d’être capturés par l’URSS et la Chine communiste si ces derniers intervenaient militairement en Corée. Le président américain Truman accepta le « retour des boys à la maison » en précisant qu’il avait toujours cru que le fait de laisser des troupes à des endroits où il n’était plus nécessaire qu’elles soient créerait des antagonismes.
Un autre général américain, Omar N. Bradley, pensait par contre que le retrait de ce qui restait des troupes au sud de la Corée aurait pour résultat une invasion du Sud par le Nord. Au bout du compte, les derniers soldats américains quittèrent la République de Corée le 29 juin 1949. Les Etats-Unis restèrent cependant présents par l’action de 500 conseillers militaires, engagés à entraîner l’armée de la Corée du Sud. Au demeurant, l’armée américaine n’est jamais vraiment partie de la Corée du Sud depuis 1945.
Comme le soutiennent Shin Gi-wook et Michael Robinson dans l’introduction à leur ouvrage Colonial Modernity in Korea, l’histoire de la Corée fut longtemps le monopole de deux systèmes politiques différents, revendiquant tous deux la vérité.[9] A l’apogée de la guerre froide, la compétition entre les deux Corées pour établir leur légitimité politique conduisit à limiter les recherches historiques qui s’écartaient des récits nationalistes officiels.
I. 4. Antagonisme entre les deux Corées
A observer dans son actualité la vie diplomatique internationale, une étape historique est en phase de franchissement dans l’évolution des républiques coréennes. Les deux Etats ont en effet repris contact sur plusieurs plans, la démonstration la plus expressive ayant été leur participation sous la même bannière aux derniers Jeux Olympiques d’hiver (à Pyongchang en Corée du Sud), mais aussi les retrouvailles organisées entre familles séparées depuis la trêve dans la guerre de Corée, en 1953. Séoul s’est même penché sur une levée temporaire des sanctions de l’ONU visant Pyongyang. La récente rencontre tous azimuts entre les deux Présidents concernés vient relancer les espoirs de paix durable et/ou définitive après près de 70 ans de confrontations multiples. Mais qu’est-ce qui a été à l’origine du désamour entre deux communautés de fabrication internationale dont les membres appartiennent originairement à un seul et même peuple ?
C’est sur les ruines de la Seconde guerre mondiale, il sied de le rappeler, que les Coréens ont vu leur territoire divisé avant qu’une guerre ne vienne radicalement les séparer. La frontière qui offre la démarcation des deux Corées a été définie à la fin de cette Grande Guerre. C’est plus précisément sur les bords de la mer Noire, en Ukraine, que le sort des Coréens a été tranché en février 1945.
Lors de la conférence de Yalta, c’est de cela qu’il s’agit –, les dirigeants des nations alliées, qui n’ont pas encore remporté le conflit, se rassemblent afin de déterminer l’après-guerre. Parmi eux, les deux grands vainqueurs, les Etats-Unis d’Amérique et l’URSS, se partagent le gros des conquêtes à venir faites sur l’Allemagne et sur le Japon. Anticipant la future défaite du pays du Soleil Levant, Franklin Roosevelt et Joseph Staline se distribuèrent ses dépouilles, dont le territoire coréen. La division retenue est très simple, nous l’avons relevé : la frontière entre territoire sous protection américaine et territoire sous protection soviétique aller passer par le 38° parallèle. Cependant, il ne s’agissait pas de colonisation mais de simple occupation. Soulignons à nouveau que lors de la conférence du Caire organisée en 1943, toujours par les pays alliés, le droit à la liberté et à l’indépendance des Coréens avait en effet été reconnu.
Les déclarations de la Conférence du Caire ont vite été enterrées dans le contexte de la Guerre froide qui s’installait alors entre les Etats-Unis et l’URSS. Pour rappel, des élections vont être organisées par l’ONU en 1947 afin de mettre en place le premier gouvernement coréen. Mais la partie nord, occupée par l’URSS, boycotte ce scrutin. Pour les soviétiques en effet, l’ONU n’est qu’une marionnette aux mains des ennemis capitalistes. Résultat : le Sud, qui se choisit ses dirigeants et se proclame indépendant, devient la République de Corée en 1948. Le Nord organise ses propres élections remportées par la gauche et devient dans la foulée la République Populaire Démocratique de Corée.
Les deux nouveaux Etats vont alors devenir les pantins des deux superpuissances mondiales qui, avec d’autres puissances alliées et l’ONU, engagent un conflit armé périphérique. Pour l’URSS, une guerre surprise pouvait lui permettre d’envahir la Corée du Sud. Le 25 juin 1950, l’armée nord-coréenne franchit le 38e parallèle et atteint très rapidement Séoul. Le jour même, l’ONU, saisie par les Etats-Unis, décide d’envoyer une force internationale. Sous commandement américain, cette armée lance une contre-offensive avec succès puisque fin octobre, elle atteint la frontière séparant la Chine et la Corée du Nord. Mais la Chine, devenue communiste quelques mois auparavant, décide d’intervenir dans le conflit pour soutenir Pyongyang. 180.000 de ses soldats entrent en territoire nord-coréen et repoussent l’armée des Nations-Unies sur le 38e parallèle. S’en suit alors une guerre de position très meurtrière (environ 5 millions de morts au total).
Si des premiers contacts sont instaurés dès 1951 entre les deux pays, il faut attendre 1953 et la mort du dirigeant soviétique Staline pour débloquer la situation. Le 27 juillet, à Panmunjon, située sur le 38e parallèle, la Corée du Sud et la Corée du Nord signent un traité d’armistice, mettant fin à une des guerres les plus meurtrières de la deuxième moitié du XXe siècle. Pour autant, la paix se fera attendre longtemps encore, pas plus que la réunification ne sera envisageable, car après la chute de l’URSS en 1991, les Corées ne se réunissent pas, elles se contentent de signer un accord de réconciliation et de reconnaissance mutuelle. La Corée du Nord y gagne en crédibilité : elle fait son entrée à l’ONU la même année. Mais son statut de dictature communiste la dessert dans le concert des nations. Malgré tout, elle continue à bénéficier du soutien de la Chine, bienheureuse d’avoir un Etat tampon la séparant de la Corée du Sud, où réside à l’année l’armée américaine. Plus tard, en 2007, lors d’un sommet intercoréen, le dirigeant du Nord, Kim Jong-il et son homologue du Sud, Roh Moo-Hyun se contentent de s’engager à promouvoir la paix[10].
Avec la conscription rétablie en 1947 dans le Nord, qui provoqua une certaine résistance dans une partie de la population, l’armée nord-coréenne appelée Armée populaire de Corée, équipée en chars et en armes lourdes d’origine soviétique, était davantage en mesure de prendre l’initiative d’une confrontation armée, tandis que l’armée sud-coréenne, en raison d’un soutien américain plus limité après le retrait des troupes d’occupation (décembre 1948 et juin 1949), était en état d’infériorité matérielle (aucun char et pas d’avion de combat), mais surtout numérique.
Bernard Droz affirme en 1992 que la responsabilité américaine et sud-coréenne du déclenchement de la guerre en Corée apparaît peu crédible : vu l’état d’impréparation de l’armée sud-coréenne et la présence sur place de quelques centaines seulement de conseillers américains, et depuis l’ouverture des archives soviétiques, il est désormais acquis que l’offensive générale du 25 juin 1950 fut préparée de longue date par la Corée du Nord[11].
Revenons au fait que les Soviétiques avaient investi le Nord de la péninsule le 9 août 1945, au lendemain même de la déclaration de guerre au Japon. Pour leur part, les Américains débarquèrent, le 8 septembre suivant, au surlendemain de la proclamation à Séoul d’une éphémère République démocratique par les partis de gauche à majorité communiste qui avaient été actifs dans la résistance à l’occupation japonaise. Cependant ni les Etats-Unis d’Amérique ni l’URSS ni a fortiori les citoyens des deux Corées eux-mêmes ne considéraient comme définitive la partition de facto de la péninsule qui découlait de la double présence américaine et soviétique : en effet, une commission mixte américano-soviétique se mit en place dès janvier 1946, mais ses travaux n’aboutirent pas en raison de la tension croissante entre les deux grandes puissances.
La guerre meurtrière et fratricide entre les deux Corées n’amena quasiment aucun changement territorial, donnant l’horrible impression d’un suicide national dont le courant historiographique dominant en Occident et en Fédération de Russie attribue la principale responsabilité à la RPDC. Selon Robert Charvin, la guerre de Corée est la « première guerre chaude de la guerre froide »[12].
Avant l’ouverture des archives du Kremlin à Moscou, des historiens avaient pu tenir pour responsables des puissances extérieures : les Etats-Unis de Truman mais surtout l’URSS de Staline, qui aurait fait dévier une simple opposition idéologique locale (communisme contre capitalisme) en une guerre ouverte. Or les documents d’archives soviétiques, bien que contestés par les autorités nord-coréennes, attestent au contraire que la RPDC a envisagé de longue date l’offensive du 25 juin 1950, en concertation avec les soviétiques, qui ne donnèrent un aval peu enthousiaste que suite à des sollicitations permanentes. Par conséquent, d’après l’état actuel de la documentation, l’hypothèse selon laquelle la guerre de Corée aurait été une initiative de Staline serait incorrecte.[13]
On peut toutefois reconnaître l’enlisement de la guerre avec l’implication des puissances sus-indiquées. Pas de vainqueur et pas de vaincu non plus depuis l’existence des deux Etats bien distincts, reconnus le 27 juillet 1953 par Américains et Soviétiques au terme d’un conflit qui fit plus de deux millions de morts.
II. GESTICULATIONS DE RAPPROCHEMENT DIPLOMATIQUE CORÉEN: ESPOIRS ET DÉSESPOIRS
Pour peu qu’on approche la réalité des choses, il reste encore fantasmagorique d’envisager la réunification des Corées après près 70 ans de division effective : les mentalités sont de plus en plus différentes entre Nord et Sud, les jeunes Sud-Coréens se sentent de moins en moins concernés et les tensions politiques et militaires qui se sont accentuées à l’aube du XXIe siècle. Pour autant il faudrait bien se garder de prendre très au sérieux cette dernière remarque : depuis le début des années 1970, des efforts des deux côtés de la DMZ, la fameuse « zone démilitarisée » le long du 38ème parallèle, ont été entrepris afin d’apaiser et de réchauffer les relations. Car l’espoir de revoir un jour une Corée unifiée, réellement indépendante cette fois, est toujours présent dans l’esprit des Coréens, et il ne s’agit pas d’une infime minorité.
II. 1. Infiltrations et contacts de coulisse
De 1962 à 1968, le régime nord-coréen crut que les régions du Sud se soulèveraient d’elles-mêmes parce que le régime sud-coréen était dictatorial et qu’il y avait une crise économique et sociale dans la partie Sud, et parce que les Sud-coréens souhaitaient la réunification de leur patrie, proposée par le Nord dans le cadre d’une création par la voie pacifique d’un Etat confédéral. Pour hâter l’apparition du moment décisif, la RPDC avait envoyé dans le Sud des agents subversifs et des équipes de guérillas qui furent vite neutralisés avec quelques fois de lourdes pertes dans les deux camps.
Plusieurs attentats sont commis contre des membres du gouvernement de la République de Corée jusqu’aux années 1980, dont deux contre le président Park Chung-hee. Les années record d’infiltrations ont été 1967 et 1968 avec 743 agents armés recensés sur les 3 693 infiltrés connus entre 1954 et 1992.[14] Le 21 janvier 1968 un commando des forces spéciales de la RPDC de 31 hommes attaque la résidence présidentielle à Séoul, 28 seront tués et un sera fait prisonnier ; 68 Sud-coréens civils et militaires seront tués et 66 blessés ; 3 soldats américains trouveront la mort et 3 autres blessés. Le 23 janvier 1968, la RPDC arraisonne le navire-espion américain Pueblo qui avait pénétré selon Pyongyang dans ses eaux territoriales. L’équipage dont un membre est tué n’est libéré qu’après des excuses officielles du gouvernement américain.
Les premières discussions entre les gouvernements des deux Corées en vue d’un traité de paix et d’une réunification se tiennent en 1972. Dans ce cadre, la RPDC propose en 1980 la constitution d’une République confédérale démocratique de Koryo sur la base d’une autonomie régionale. Mais cela n’empêche pas aux conflits intercoréens de perdurer.
La République de Corée accuse la RPDC d’avoir organisé en 1983 un attentat à la bombe à Rangoon en Birmanie qui tua 17 sud-coréens en visite officielle dont quatre membres de cabinets ministériels, ainsi qu’un autre attentat qui se solda par la mort de cent quinze passagers du vol 858 de Korean Airlines. Les éléments de preuve manquaient à l’appui et le gouvernement nord-coréen a toujours nié toute implication dans l’attentat de Ra ngoon. Un agent nord-coréen, Kim Hyon-hui, aurait en revanche reconnu avoir placé une bombe dans l’attentat du vol de Korean Airlines.
II. 2. De la politique du rayon de soleil au rapprochement
Après l’effondrement de l’URSS, la RPDC et la République de Corée sont enfin simultanément admis à l’ONU le 17 septembre 1991 et diversifient leurs relations internationales. L’une et l’autre sont aujourd’hui reconnues par la quasi-totalité des Etats du monde, à l’exception toutefois pour la RPDC de quelques grands Etats occidentaux, dont les Etats-Unis (qui ont par ailleurs amorcé un virage diplomatique déroutant vis-à-vis de la RPDC depuis plusieurs mois), le Japon et la France, cette dernière étant l’un des deux pays de l’Union européenne avec l’Estonie à ne pas reconnaître la RPDC.
Même si la RPDC a été admise au sein de l’ONU, cela ne l’empêche pas de subir depuis 1950 un embargo économique imposé par les Etats-Unis, lequel a été renforcé en 2005. La détente consentie par l’administration Trump aboutira-t-elle à une levée totale des sanctions alors qu’un tel engagement est conditionné par une dénucléarisation effective de la Corée du Nord ?
Le recours à l’arme économique dans les relations internationales contemporaines est une alternative à la solution militaire. Pour Washington, il s’est longtemps agit d’aboutir à la chute du régime nord-coréen. Les sanctions ne sont pas exclusives et des moyens militaires peuvent compléter celles-ci, comme par exemple les exercices militaires annuels conjoints entre les Etats-Unis et la République de Corée.
A l’initiative du Président sud-coréen Kim Dae-jung qui incarne alors « la politique du rayon de soleil visant à réconcilier les deux Corées », une rencontre a eu lieu en RPDC avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-il en juin 2000, scellée par une déclaration conjointe au 15 juin, signée à Pyongyang : elle marque le début du rapprochement entre les deux Etats en vue d’une réunification de la Corée.
Cette rencontre aura des répercussions positives parmi lesquelles l’implantation de quelques entreprises sud-coréennes au Nord, notamment à Kaesong. La République de Corée va devenir le second partenaire commercial de la RPDC. Des rencontres régulières auront lieu en termes d’échanges ministériels. La politique d’ouverture du président sud-coréen Kim Dae-jung a été poursuivie par son successeur Roh Moo-hyun. Le principal parti à l’époque d’opposition sud-coréenne, le Grand parti national, après avoir fortement critiqué la « politique du rayon de soleil », s’est rallié début juillet 2007 avant son retour au pouvoir au principe d’un rapprochement progressif entre les deux Corées, fondé sur les relations intercoréennes.
Dans le même élan, un second sommet intercoréen entre le dirigeant du Nord Kim Jong-il et le président sud-coréen Roh Moo-hyun initialement prévu à Pyongyang du 28 au 30 août 2007 a été reporté du 2 au 4 octobre après que les plus graves inondations en RPDC depuis quarante ans aient entraîné 600 morts et disparus et touché un million de personnes. L’accord intercoréen signé le 4 octobre 2007 a souligné l’engagement commun des deux Etats pour promouvoir la paix et la prospérité économique dans la péninsule. Depuis 2008 les relations entre les deux Corées s’étaient détériorées, suite au durcissement des exigences du Sud portées par son président avant qu’elles ne se réchauffent beaucoup plus récemment.
En novembre 2008, la RPDC annonce qu’elle ferme ses sites industriels et touristiques ainsi que les liaisons ferroviaires avec le Sud. Le 27 mai 2009, la RPDC estime ne plus être liée par l’armistice qui a fait cesser la guerre de Corée et ce après un nouvel essai nucléaire et plusieurs tirs de missiles de courte portée. Cela a incité la République de Corée à adhérer à l’Initiative de sécurité contre la prolifération.
Tout compte fait, aucun des deux Etats n’a jamais ni officiellement ni définitivement renoncé à la réunification : plusieurs négociations ont eu lieu, des embryons d’accords conclus, particulièrement lorsque les autorités du Sud l’ont décidé, enhardies par la démocratisation en progrès en République de Corée. Tous les pas jusqu’ici tracés vers un futur Etat réunifié expriment par-delà toutes les différences qui opposent les deux régimes, une aspiration populaire commune à une Corée redevenue « Une ».
II. 3. Approche explicative du rapprochement diplomatique
On peut évoquer plusieurs niveaux de rapprochement dont le plus délicat passe par le militaire[15]. L’affirmation parait contradictoire : comment le militaire, flagrant synonyme de tensions ou de différends, pourrait-il contribuer au rapprochement intercoréen ? Il s’agit pourtant d’une dimension indispensable à prendre en compte : sur ce point, Pyongyang et Séoul partagent le même constat. Mais en surface seulement, car de part et d’autre du 38ème parallèle, les solutions envisagées sont longtemps restées diamétralement opposées. La dénucléarisation de la Corée du Nord « de façon pacifique » constitue une étape indispensable, comme aussi le retrait de l’impressionnant dispositif militaire américain dans l’environnement sud-coréen. Ce qui est considéré comme « assurance-vie » pour l’un (arme nucléaire au nord) est désigné comme menace à la sécurité et à la survie pour l’autre (forte présence militaire américaine au sud) et vice-versa.
Un deuxième niveau de rapprochement passe par les puissances étrangères. En effet, les grandes puissances voient d’un mauvais œil l’ascension nucléaire de Pyongyang qui, de facto, impose son intégration au club des États disposant de l’arme atomique. Certaines, comme les États-Unis et le Japon, s’estiment en effet menacées par un potentiel tir de missile balistique nord-coréen pouvant frapper leur territoire national. C’est pourquoi nombre d’entre elles poussent Pyongyang et Séoul au dialogue afin de désamorcer l’escalade des tensions.
Cette impulsion venue de l’extérieur s’est principalement incarnée dans ce que l’on appelle les pourparlers à six , une série de négociations entre les deux Corées avec la médiation de la Chine et la participation des États-Unis, de la Russie et du Japon. Mais l’implication internationale n’a qu’une ambition limitée : le rapprochement a minima entre Séoul et Pyongyang. Les puissances occidentales, à l’exception de l’Allemagne à cause de son expérience particulière, seraient-elles vraiment intéressées à une réunification aboutie des deux Corées ?
Considérons en troisième lieu le rapprochement devant passer par l’économie. Pour la plupart des experts de la Corée du Nord, le processus de réunification ne pourrait débuter que par un rapprochement économique. Cela signifie deux choses : des réformes économiques en Corée du Nord et un accroissement des échanges commerciaux intercoréens, y compris l’ouverture et la fluidité des voies de passage et de communication. Signe très encourageant, la Corée du Nord a commencé à ouvrir des Zone Économiques Spéciales (ZES) sur son territoire.
Le rapprochement, au quatrième plan, passe par la diplomatie. Face aux bouleversements du monde, les deux Corées ont parfois pu trouver des avantages à réchauffer leurs relations. Cependant, leur entente évolue de manière sinusoïdale : au rythme des humeurs des Kim, d’une part, et des opinions politiques des présidents sud-coréens, d’autre part. Mentionnons quoi qu’il en soit cet événement historique : le 13 décembre 1991, les deux Corées avaient signé l’accord de base pour la réconciliation, la non-agression, l’échange et la coopération. Acte majeur et fondateur du rapprochement diplomatique, cet accord devait empêcher les risques de conflits sur une zone à haute tension où étaient postés 900 000 soldats nord-coréens face à 640 000 soldats sud-coréens et 39 000 GI’s américains.
Les deux Corées vont réfléchir plus tard à une alternative à la trop complexe réunification : une fédération ou une confédération, en s’inspirant de la construction européenne. Finalement, dans les dernières années, c’est la Trustpolitik qui a souvent été proposée : une approche plus pragmatique, une solution médiane laissant penser à une reprise de la Sunshine Policy.
Le tourisme fait aussi figure de plan de rapprochement. La Sunshine Policy lancée par Kim Dae-jung visait, entre autres, à multiplier les échanges entre les deux Corées pour apprendre aux Sud-Coréens à mieux appréhender leur voisin du Nord. Jusqu’à la suspension des voyages en 2008, environ deux millions de Coréens du Sud ont pu profiter de cette opportunité pour se rendre au Nord.
Quant au rapprochement passant par la politique, des deux côtés du 38ème parallèle, des dispositions sont prises afin d’encourager le soutien de la réunification auprès de la population. Car s’il doit y avoir réunification, elle ne nécessitera pas légalement l’aval de pays tiers : c’est donc théoriquement une affaire coréenne. Des deux côtés de la DMZ, les Coréens continuent ainsi à rêver. Au Sud, où existe un ministère de l’Unification depuis 1969, la réunification est envisagée comme un devoir à la fois moral et patriotique. Au Nord, la question de la réunification constitue l’un des thèmes favoris du juche, l’idéologie marxiste-léniniste mêlée aux « valeurs coréennes » et instaurée par Kim Il-sung, toujours en vigueur aujourd’hui.
Pas de rapprochement qui ne puisse passer par les citoyens. Outre les responsables politiques, des citoyens et des organisations non-gouvernementales au Sud s’engagent également pour tenter d’améliorer les conditions de vie des Nord-Coréens et réchauffer les relations entre les deux Corées. Selon un sondage de 2008 réalisé par l’Institut coréen pour l’unification nationale à Séoul, 84 % des Sud-Coréens considèrent que la réunification est une tâche urgente pour la nation[16]. L’un des principaux problèmes du rapprochement citoyen amorcé notamment grâce aux rencontres familiales est la difficulté pour les Coréens du Nord et du Sud d’échanger entre eux, constat relevé par plusieurs analystes.
Le sport constitue le rapprochement le plus populaire et le mieux démontré aux yeux du commun des mortels. Le sport a le pouvoir de connecter un cœur à un autre, déclarait avec optimisme Moon Jae-in lors de son discours à Berlin, le 6 juillet 2017. Lorsque des athlètes du sud, du nord de la Corée et du reste du monde, transpirent et concourent ensemble, tendent une main à leurs compagnons athlètes qui sont tombés, s’embrassent, le monde est témoin de la paix à travers les Jeux Olympiques[17]. À plusieurs reprises, lors des Jeux Olympiques ou d’autres jeux, les athlètes des deux Corées ont défilé conjointement (sous un drapeau unifié). Des rencontres sportives intercoréennes ont souvent eu lieu, organisées par les deux fédérations et soutenues par leurs gouvernements respectifs.
Au Jeux Olympiques d’hiver à Pyongchang (Corée du Sud), l’enjeu pour le régime de Kim Jong-un ne semblait pas vraiment sportif. Il sied de savoir que peu d’athlètes sont qualifiés et le pays n’est historiquement pas performant aux Jeux d’hiver, à l’inverse des Jeux d’été. L’enjeu était clairement politique, diplomatique et stratégique. La participation relevait d’un enjeu politique ayant pour objectif de donner l’impression à la population nord-coréenne qu’il s’agit de Jeux coréens et non sud-coréens, même si la Corée du Sud avait refusé pour 2018 comme pour 1988 une co-organisation.
Surplombant le sportif, on ne peut imaginer le rapprochement sans qu’il ne puisse passer par la culture. Tout comme l’outil militaire, l’usage de la culture au nord et au sud de la péninsule dans le cadre des relations intercoréennes diffère fondamentalement. Le Nord est resté essentiellement conservateur, tandis que le Sud est beaucoup plus progressiste, certains s’évertuent même à penser qu’il est « occidentalisé »… C’est que l’objectif final n’est pas le même : le rapprochement pour le Sud qui respecte l’Etat voisin, la réunification pour le Nord pour un retour aux valeurs de la patrie : depuis la division de la Corée, le Nord souhaite absorber le sud de la péninsule. Cela passe par la lutte contre l’impérialisme américain, la nécessité et la fierté de posséder l’arme nucléaire pour ne pas être la proie de « l’avidité » des puissances étrangères, le culte du chef. Au Sud en revanche, de nombreuses productions présentant un regard apaisé sur la Corée du Nord ont vu le jour.
La question des réfugiés se présente comme une étape sérieuse dans le rapprochement. Les réfugiés nord-coréens ont une interprétation artistique de la vie au nord du 38ème parallèle qui intrigue le Sud. Néanmoins, si dans les dernières décennies les réfugiés étaient accueillis avec plus ou moins d’enthousiasme, c’est beaucoup moins le cas de ces dernières années. On parle de quelques 30 000 réfugiés nord-coréens au Sud, la plupart venant de milieux modestes en Corée du Nord[18]. Hormis les Coréens du Sud, d’autres organismes travaillent au réchauffement des relations entre la Corée du Sud et la Corée du Nord : la Croix-Rouge par exemple mais également l’Église catholique, qui prend particulièrement en charge les réfugiés nord-coréens.
Somme toute, il y a deux facteurs primordiaux qui expliquent le rapprochement entre les deux Corées, soutient Nicolas Berrod.[19] Pour lui, il faut d’abord tenir compte du retour au pouvoir des progressistes en Corée du Sud, avec l’élection de Moon Jae-In en mai 2017. Le Président Moon a tendu la main à la Corée du Nord dans un discours le 6 juillet 2017 à Berlin, soit symboliquement dans la capitale de l’Allemagne réunifiée. De l’autre côté, la Corée du Nord a annoncé en septembre 2017 qu’elle avait atteint ses objectifs en terme nucléaire, après son sixième essai nucléaire.
Le chercheur Antoine Bondaz, interviewé sur le rapprochement historique entre les deux pays par Guillaume Descours, estime que « le rapprochement entre la Corée du Sud et la Corée du Nord se fait dans l’intérêt des deux pays ».[20] Depuis le retour au pouvoir des progressistes, Séoul cherche à renouer le dialogue avec Pyongyang. L’objectif de dénucléarisation n’a jamais été remis en cause mais une avancée sur le dossier nucléaire n’a plus constitué un prérequis à la reprise du dialogue intercoréen. Moon Jae-in entendait associer sanctions et dialogue.
Dans ce rapprochement et cet élan de réunification, il faut ouvrir le troisième œil pour relever le rôle des Etats-Unis d’Amérique. En effet, la stratégie américaine, et plus intégralement de la communauté occidentale, a consisté à imposer une pression maximale au régime nord-coréen. Cette volonté d’accroître le coût économique de la violation des engagements internationaux par la Corée du Nord, notamment à travers la multiplication des sanctions de l’ONU, explique l’évolution actuelle très significative de la situation dans la péninsule coréenne.
La cessation des essais nucléaires par le régime Kim Jong-un a favorisé cette approche diplomatique de rapprochement. Il faudrait, toutefois, admettre que cette initiative a posé un sérieux problème en terme de crédibilité du fait que l’enfant terrible de la partie nord de Corée a, à plusieurs reprises, répété que la Corée du Nord était devenue une puissance nucléaire. Il convient tout de même de rappeler que dans ses mots à la Nation pour le nouvel an 2018, il a exprimé sa volonté à procéder au gel de ses essais nucléaires, ce qui a permis sur le plan politique un rapprochement et une organisation du sommet intercoréen, puis la rencontre avec le président américain Donald Trump.
La rencontre intercoréenne a abouti à une déclaration conjointe annonçant la dénucléarisation à long terme de la Corée du Nord et prévoyant de mettre fin à la guerre de Corée avant la fin de l’année. Cependant, il y a lieu de réfléchir sur la faisabilité de la dénucléarisation du régime nord-coréen. Il semble hâtif voire prématuré d’envisager un tel scenario. Il ne faudrait pas, non plus, confondre le gel des essais avec le gel des programmes ou encore le démantèlement des capacités nucléaires de la Corée du Nord. D’autant que Kim Jong-un a réaffirmé dans son discours inaugural de l’année son intention de continuer à produire des missiles.
De ce rapprochement entre les deux Corées, est-il permis de penser à une réunification à venir ? Il sied de noter que dans le réchauffement des relations diplomatiques en cours, la question de la réunification n’est pas à l’ordre du jour. La démarche mise en exergue entre les deux parties consiste, de prime abord, à une pacification des relations puis une réconciliation entre les deux gouvernements et surtout les deux peuples. Théoriquement, la troisième étape serait la réunification mais on en est extrêmement loin, estiment les spécialistes de la question coréenne.
Comparativement à l’Allemagne, il sied de noter que la réunification dans ce dernier cas a pu donner à penser que le scénario pourrait être le même pour la Corée, c’est-à-dire que ce serait le régime communiste qui s’effondrerait, idée qui a d’ailleurs pu fonctionner comme une sorte de repoussoir pour les deux Corées : le Sud considérant notamment le coût faramineux d’une telle réunification et le Nord ne pouvant accepter l’idée d’une absorption dans ou par le Sud, crainte que ses dirigeants avaient d’ailleurs explicitement formulée au début des années 1990[21]. En tout état de cause, la situation de l’Allemagne est historiquement et politiquement assez différente. Tous les espoirs seraient-ils permis ou convient-il, dans une certaine mesure, de continuer à désespérer comme l’inspirent les pourfendeurs internationaux du régime de Pyongyang ?
III. TREMPLIN DE RECONCILIATION ET NOUVEL ÉQUILIBRE STRATÉGIQUE DANS LA SOUS-RÉGION
A en croire Amina Bouamrirene, « il est difficile d’envisager la réunification en Corée après plus de 70 ans de division : les langues sont de plus en plus différentes entre Nord et Sud, les jeunes Sud-Coréens se sentent de moins en moins concernés et les tensions politiques et militaires n’ont fait que s’accentuer[22]. Pourtant, depuis le début des années 1970, des efforts des deux côtés de la DMZ, la fameuse « zone démilitarisée » le long du 38ème parallèle, ont été entrepris afin d’apaiser et de réchauffer les relations. Car l’espoir de revoir un jour une Corée unifiée, effectivement indépendante cette fois, est toujours présent dans l’esprit des Coréens. Mais au-delà de ce qui intéresse les deux Corées, c’est toute la sous-région, voire les autres nations impliquées bon gré malgré dans le conflit, qui peuvent bénéficier du rapprochement en question.
III. 1. Approches divergentes sur le rapprochement entre les deux Corées
La perception nord-coréenne du rapprochement voire la réunification trouve des explications dans les déclarations et dans la position de leur leader Kim Jong-un. Pour ce dernier, « les Coréens qui aiment la patrie et brûlent de se dévouer pour elle, ont une force inépuisable pour aboutir à la réunification coréenne. La nation divisée et asservie aux forces étrangères ne peut conserver son identité. Le développement de l’unification de la Corée est gêné par la présence des Etats-Unis au Sud de la péninsule. Ce n’est qu’en réunifiant le pays le plus tôt possible que la Corée peut dissiper son malheur et réaliser la paix et la prospérité ». La dignité et la souveraineté de la Corée sont foulées aux pieds par la présence américaine en République de Corée, pense Kim Jong-un.
La réunification de la patrie c’est du patriotisme et sa division c’est de la trahison. Les Coréens consacrent tout ce qu’ils ont depuis plus de cinquante ans pour la réunification qui est une tâche suprême. C’est seulement grâce à l’indépendance que la nation peut maintenir sa dignité et son existence et réaliser sa prospérité. Le grand ensemble de Coréens se dévoue à la réunification du pays qui représente la dignité et l’honneur.
Le mode de vie s’occidentalise – croit-on à tort ou à raison – en République de Corée, la persistance d’un tel phénomène risque de faire disparaître les points communs de la nation et compromettre tout effort homogénéisant. Qu’importe ! Du côté de la Corée du Sud, la réunification avec la partie nord est institutionnalisée par la création du ministère de la Réunification en 1969 sous le nom de Commission d’Unification Nationale lors de la présidence de Park Chung-hee. Il a pris sa forme actuelle en 1998 et a joué un rôle majeur dans la promotion du dialogue, des échanges et de la coopération entre les deux Corée.
La vision qu’a le ministère de la réunification est la création d’une communauté de paix : la péninsule coréenne serait dénucléarisée, une confiance serait amorcée entre les armées de chaque pays et la baisse de tension dans la péninsule coréenne serait conséquente. Il y aurait également la création d’une communauté de prospérité : le gouvernement sud-coréen aiderait la RPDC à développer son économie, à avoir sa place dans la communauté internationale et le gouvernement sud-coréen créerait les conditions nécessaires au développement d’une coopération économique bénéficiant aux deux Corées. Enfin, il y aurait la création d’une communauté de bien-être. L’actuel plan de réunification en trois étapes ne propose pas de moyens concrets pour réunifier la mère patrie et est en conséquence incertain.
III. 2. Enjeux du rapprochement sur la géopolitique de la péninsule coréenne
La question coréenne ne peut pas être analysée qu’en tenant compte des aspects internes. Pour mieux l’appréhender, il s’avère incontournable de la circonscrire aussi au plan régional voire international. En effet, comme nous l’avons évoqué ci-haut, la péninsule coréenne a fait une entrée fracassante dans l’année 2018 : lors de ses vœux du Nouvel An, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a tendu la main à Séoul, en disant souhaiter une amélioration des relations et l’ouverture d’un dialogue entre les deux Corées. Puis, Pyongyang s’est prononcé pour une participation aux Jeux Olympiques de Pyongchang (Corée du Sud) et même sur une éventuelle réunification avec le Sud[23].
De ces annonces, on a pu noter que le sommet entre les Présidents des deux Corées a eu lieu et une rencontre entre le Président américain Donald Trump et Kim Jong-un s’est tenue. Cependant la question qui mérite d’être posée est celle de savoir : quel est l’enjeu de ce rapprochement et cet élan de réconciliation pour les différents acteurs concernés et bien surtout pour l’environnement régional ?
III. 2. 1. Enjeux et conséquences pour la Corée du Sud
Au lendemain de son indépendance en 1948, l’ex-colonie japonaise a entrepris, à pas sûrs, sa marche vers le développement. Le pays a, certes, été appuyé par les Etats-Unis dans sa partie Sud, tandis que le Nord a été soutenu par l’URSS et la Chine. Néanmoins, il faut aller chercher ailleurs le véritable secret de la fulgurante émergence de la Corée du Sud. Les citoyens de ce pays ont sans doute parié sur trois facteurs clés: l’éducation, l’économie de la connaissance et des valeurs fortes, qui sont en même temps les enjeux majeurs de la consolidation structurale coréenne.
Le système éducatif du pays poussant les enfants au bout de leurs capacités et autorisant le châtiment, semble-t-il, est parfois critiqué par les Occidentaux. Néanmoins il fonctionne! Presque parfaitement. Ces dernières années, les enfants sud-coréens se placent toujours dans le trio de tête des classements internationaux de lecture et de mathématiques. Actuellement, les écoles tentent de faire la part belle aux activités parascolaires, afin d’offrir plus de possibilités d’épanouissement aux élèves, toujours surchargés…
L’économie de la connaissance est l’autre ingrédient magique qui a permis à la Corée du Sud d’intégrer le groupe fermé des superpuissances économiques et technologiques. Malgré sa petite taille et la rareté de ses ressources, le pays exporte beaucoup plus que des géants comme la Russie ou le Canada. Des solutions technologiques, de la téléphonie mobile, de l’électroménager, des navires, des voitures, des logiciels… que des produits à forte valeur ajoutée. «Même avec un petit accès en mer de Chine, le pays a pu développer une culture d’algues florissante, qui a fait de lui l’un des leaders mondiaux en algues alimentaires et en biodiesel», relève le spécialiste français de l’économie de la connaissance appliquée à la gestion, consultant international, Idriss Aberkane. « Pour cet Etat, c’est le savoir ou la mort. C’est le premier à avoir mis en place un ministère de l’Economie de la connaissance », insiste-t-il.[24]
Ce qui fait la grandeur des nations sont des valeurs. La Corée du Sud tient à ses valeurs. La première que les enfants intègrent à l’école n’est autre que la discipline. C’est incroyable ce que l’on peut accomplir grâce à cette seule qualité qui manque terriblement à plusieurs pays en développement. Le simple fait de respecter les rendez-vous et les délais permet d’éviter des déperditions énormes et de monter en efficacité. La valeur travail est également sacrée. Les Sud-Coréens s’investissent corps et âme dans leurs fonctions, et s’y appliquent avec rigueur et sérieux. Le respect de l’autre, de la famille et des anciens, le patriotisme et la citoyenneté sont, également, cruciaux à leurs yeux. Le pays se veut aussi une démocratie transparente qui ne tolère pas l’incompétence, la corruption ou les trahisons, même en cas d’engagement conjoint avec la république voisine du Nord.[25]
III. 2. 2. Enjeux et conséquences pour la Corée du Nord
Aujourd’hui, une grande majorité de Nord-coréens sait que le niveau de vie de ceux du Sud est incomparablement plus élevé que le leur et l’objectif, celui de la population comme des dirigeants, est d’abord le développement et/ou la restructuration économique (enjeu majeur). D’ailleurs, depuis une dizaine d’années, selon les estimations de la CIA et de la Banque de Corée, la croissance a repris au Nord, dans le contexte de l’introduction progressive des marchés privés. D’abord apparus pendant la famine comme seul moyen pour les populations de remédier à l’effondrement du système public de distribution qui avait cessé de fonctionner, ces marchés ont été partiellement légalisés et régulés par le régime, dans le cadre de réformes économiques engagées depuis juillet 2002, appelées en Corée du Nord « réformes pour l’amélioration de l’économie » (car l’idéologie nord-coréenne n’utilise pas le terme de « réformes », beaucoup plus profond).
La difficulté de la Corée du Nord à sortir de la crise et la nature du régime confortent les Coréens du Sud dans le bien-fondé de leurs choix politique et économique, ce qui peut d’ailleurs les amener à sous-estimer la solidité du régime nord-coréen. Celui-ci peut alors compter sur une impulsion, infime soit-elle, des apports du Sud, y compris à travers les réfugiés revenus ou non au pays mais posant certaines marques dans leur société d’origine. Les différences sociales et culturelles réelles qui séparent aujourd’hui les deux peuples s’expriment ainsi dans la difficile assimilation de plus de vingt mille Coréens du Nord réfugiés au Sud. Cela tient aussi aux trajectoires sociales des réfugiés et à l’évolution de ces trajectoires depuis le milieu des années 1990, mais quoi qu’il en soit on attend d’eux une contribution, fût-ce sur le plan de la culture et de la mentalité, au développement nord-coréen.
En dépit des discours politiques de l’unité, il s’est construit peu à peu une identité spécifique dans chacune des Corées et la fusion des deux ne serait peut-être pas si facile, si tant est qu’elle arrive un jour. Il y a aujourd’hui clairement deux sociétés avec des valeurs spécifiques. Pourtant la Corée du Nord surtout entretien le rêve de l’unité de la péninsule. Une réunification serait donc la plus grande conséquence de toutes les démarches de rapprochement qui ont mobilisé autant d’esprits et autant d’efforts. On ne peut s’étonner du fait que la Corée du Nord aille jusqu’à prendre parti pour la république sœur dans des situations assez concrètes.
C’est déjà arrivé plusieurs fois dans l’histoire : lorsque la situation nord-coréenne atteignait un point dangereux, la Corée du Nord jouait la carte sud-coréenne, affaiblissant ainsi le front uni de ses adversaires. D’autant que la situation du moment est celle qui s’y prête. L’attitude Pyongyang se rangeant parfois sur les mêmes positions que Séoul aide à desserrer la pression de la communauté internationale sur la Corée du Nord, mais a aussi permis à ses voisins de souffler en montrant qu’il existe une solution alternative afin de dénouer cette situation.[26]
III. 2. 3. Enjeux et conséquences pour la sous-région et au niveau international
En Corée, l’enjeu essentiel est de « se mettre en règle » avec les traumatismes du passé, à commencer par la guerre fratricide. Le souvenir de cet épisode meurtrier est bien trop douloureux pour qu’on puisse parvenir à une interprétation commune et univoque. Chacune des parties ne peut que faire porter à l’autre la responsabilité d’avoir provoqué la guerre, et chacune a institutionnalisé cette interprétation à l’usage de sa population tout en lui cachant, semble-t-il, l’interprétation qui avait cours dans l’autre camp. Peu importe que tout ou partie de ces récits relèvent davantage de la fiction que de l’histoire réelle. La différence des perceptions est telle qu’elle ne peut pas être dépassée, du moins dans l’immédiat.
Admettre l’existence de ces récits différents est essentiel pour dépasser le conflit. Le philosophe Paul Ricœur souligne que « pour ouvrir la voie à l’avenir, nous devons accepter l’idée que l’histoire d’un événement met toujours en jeu des interprétations et des mémoires conflictuelles »[27]. Susan Dwyer va plus loin en proposant de conceptualiser les trois étapes successives du processus de réconciliation : d’abord, trouver « un accord a minima » sur les faits ; ensuite, identifier les interprétations divergentes ; enfin, essayer de formuler un nombre limité d’interprétations qui ne soient pas « intolérables » aux yeux des deux parties. Le chemin pour se mettre ainsi « d’accord sur ce sur quoi l’on n’est pas d’accord » est semé d’embûches apparemment insurmontables. La première étape est elle-même très difficile, bien qu’elle ne consiste qu’à se mettre d’accord sur « qui a fait quoi, à qui, et quand »[28].
En Corée, ces simples faits sont objets de désaccords qui nourrissent le traumatisme et la haine. Dépasser le conflit exige un compromis entre la justice et le pardon. S’il est essentiel de tenir les hommes pour responsables de ce qu’ils ont commis, il l’est tout autant de reléguer dans une forme d’oubli certains aspects du passé traumatique qui ravivent sans cesse les conflits. Le philosophe allemand Friedrich Nietzsche souligne qu’un passé qu’on n’oublie pas peut « étouffer » le présent et en appelle au courage de « rompre avec le passé pour pouvoir vivre »[29].
Au demeurant, une fin de partie complexe se joue en Corée. Après autant de décennies d’une rivalité dans laquelle d’abord le Nord, puis le Sud essayèrent de conquérir ou d’absorber l’autre, les deux Etats se sont officiellement engagés à réchauffer leurs relations et tenter de multiplier les pas vers une éventuelle réunification. Ils ont développé leurs relations économiques. Mais, à Pyongyang comme à Séoul, et aussi à Washington, de puissants intérêts militaires et industriels freinent le changement, et une lutte acharnée se poursuit sur la définition d’une future coexistence. On est entré dans le vif du sujet. L’ensemble du problème concerne directement les Etats-Unis. Ils disposent d’environ 37 000 soldats et de 100 avions de combat dernier modèle stationnés en Corée[30]. Avec le « parapluie nucléaire » qu’ils déploient au-dessus du Sud, ils ont toujours voulu faire pencher le rapport des forces en faveur de Séoul. De surcroit, les dirigeants nord-coréens savent parfaitement que leur pays est scruté et écouté par tous les moyens dont disposent les Etats-Unis d’Amérique.
Somme toute, quoi que fassent d’Administration américaine pour venir aujourd’hui en aide à la Corée du Nord, aux plans diplomatique et économique notamment, cela ne devrait pas occulter l’importante dimension que nous venons de relever : Pyongyang a de réelles préoccupations en matière de sécurité, du fait de la présence des Etats-Unis en Corée et de leur supériorité techno-militaire. C’est d’autant le dialogue intercoréen qui reste des plus déterminants pour la stabilité et l’équilibre de la sous-région, l’administration américaine devrait en effet s’aligner sur les positions jaillissant de différentes négociations entre les deux Etats au centre de la question. Si Pyongyang n’obtempère pas vis-à-vis des visées de Washington, une intervention militaire américaine en guise de punition, par exemple, serait totalement contre-productive et même peut-être suicidaire pour la Corée du Sud. Cette dernière aspirerait d’ailleurs à s’émanciper définitivement d’une influence parfois envahissante et encombrante d’une superpuissance…
Il serait prématuré d’affirmer avec conviction que le rapprochement entre les deux Etats de la péninsule coréenne va se transformer en détente complète et surtout s’inscrire dans la durée. Cette reprise du dialogue reste fragile et pourrait être interrompue par des prétextes de tous genres, considérant que deux dirigeants impliqués dans cette démarche internationalisée, les Présidents nord-coréen et américain sont deux personnages que d’aucuns qualifient d’imprévisibles. La question de l’armement nucléaire ou plus précisément de la dénucléarisation de la Corée du Nord pourrait rester à la base d’alibis soutenus[31].
Comme on peut en faire le constat, Pyongyang disposerait de très peu de cartes, mais elle essaie de les jouer de main de maître : évidemment le faible ne dissuadera pas le fort par l’arme nucléaire, la dissymétrie est en l’occurrence telle qu’il n’y a plus pouvoir égalisateur de l’atome, mais l’orgueil et la détermination d’un peuple longtemps humilié peut entrevoir une farouche résistance. C’est dans ce sens que toute recherche d’accord devrait, pour la RPDC, culminer sur un accord général, sur la base d’une sorte de marchandage[32], gage d’une stabilité sous-régionale.
Peu après que la Corée du Nord ait amorcé une détente en engageant des discussions avec son voisin du Sud, les États-Unis d’Amérique et leurs alliés ont organisé au Canada un sommet pour discuter de la situation intercoréenne. Le 16 janvier 2018, ce sommet s’est tenu à Vancouver. Les participants étaient principalement des pays ayant combattu pendant la guerre de Corée ainsi que des pays ayant contribué au conflit à l’époque[33]. Cependant, la rencontre s’est tenue en l’absence de la Russie et la Chine, deux pays membres des « pourparlers à six » que nous avons évoqués bien plus haut. Le but du sommet ne consistait pas seulement à durcir le régime des sanctions et à confirmer la fidélité des alliés, mais il était aussi question de tester la détermination des participants de la guerre de Corée à envoyer leurs troupes sur la péninsule coréenne dans le cas d’un conflit armé.
Néanmoins, deux données nouvelles permettent d’entrevoir une issue pacifique et honorable. Primo, il convient de tenir à la croissance considérable de l’économie chinoise et aux transformations que connaît l’ancien empire du Milieu. Cette émergence se veut pacifique et, de fait, jamais les relations n’ont été aussi cordiales tout à la fois entre la Chine, la Russie, la Corée du Sud. Il s’agit donc d’intégrer la RPDC dans ce cadre en gestation et c’est dans ce cadre que les changements internes de ce pays pourront se réaliser. Deusio, la guerre et la division ont fait leur preuves en ne parvenant pas à faire disparaître le sentiment national coréen qui s’exprime avec une vigueur non dépourvue de passion, voire d’emphase, tant au nord qu’au sud. C’est aussi pour cela que la dissymétrie stratégique se constitue en gangrène : alors que la RPDC n’a ni troupes ni bases étrangères sur son sol et qu’elle n’entretient aucune alliance militaire, les États-Unis sont présents au sud et y conservent la haute main militaire[34], ainsi que nous l’avons souligné auparavant.
Tout compte fait, et comme le rélève Patrice Jorland, la sécurité de la République de Corée passe nécessairement par des garanties américaines[35]. La clef de la détente, du désarmement militaire, idéologique et politique dans la péninsule est là. Elle garantirait en même temps l’équilibre de toute la sous-région. En dépit des principes acceptés par les deux Etats coréens, la réunification a toujours été conçue comme un jeu à somme nulle : le renforcement de l’un se faisant aux dépens de l’autre et l’un des deux étant appelés tôt ou tard à disparaître, à cette nuance importante près que, depuis le début des années 1970, la RPDC propose la création d’une confédération, que sa voisine a du mal à intégrer[36].
Cela souligné, l’immixtion des puissances étrangères dans la question coréenne devrait essentiellement se limiter à favoriser un dialogue entre Nord et Sud, uniquement au service du processus de rapprochement a minima, de réconciliation, de pacification… Si les Coréens conviennent à terme d’une réunification, sous la forme de leur choix, ceci ne devrait pas mobiliser les efforts des puissances mondiales. Ces dernières n’y auraient d’ailleurs que peu d’intérêt, de telle sorte que les observateurs jugent la réunification hautement improbable, si ce n’est, peut-être à très long terme. Exceptionnellement, l’Allemagne qui, mutatis mutandis, a fait une expérience des plus inattendues, a proposé (sans interférence) ses services aux Etats coréens sur la question de la réunification depuis 2014. Qui sait ? L’accélération de certains événements historiques peut prendre le monde de court…
CONCLUSION
Que peut-on, au terme de cette réflexion, penser du rapprochement des deux Etats coréens et de ses implications internationales ? La « question coréenne » est celle de la place de la Corée du Nord surtout dans l’ordre régional et dans l’ordre mondial. Grosso modo, il y a lieu de noter que cette « question » demeure une situation complexe dont beaucoup de paramètres entrent en jeu.
La problématique du rapprochement entre les deux Corées se présente comme un enjeu stratégique des puissances occidentales et sous-régionales. Elle a des répercussions sur la géopolitique de l’Asie du Nord-est. Pour le gouvernement nord-coréen, les Etats-Unis ne devraient pas simplement prétendre qu’ils n’ont pas d’intentions hostiles envers la RPDC, mais ils doivent le prouver par des actions concrètes comme la prise d’une décision audacieuse pour remplacer l’accord d’armistice par un accord de paix, sans aucune excuse ni condition préalable. La trêve instable entre la RPDC et les Etats-Unis persiste dans la péninsule coréenne depuis bien trop longtemps, une situation très anormale sans précédent dans l’histoire des guerres du monde. Relevons aussi que la RPDC est le seul pays d’Asie avec lequel le Japon n’entretient pas de relations diplomatiques. La politique nord-coréenne du Japon s’est d’ailleurs longtemps contentée de « diaboliser » le régime de Pyongyang.
La question du passé occupe une place centrale dans la construction des relations politiques entre les pays d’Asie orientale et dans l’élaboration de la mémoire et des mythes nationaux au sein de ceux-ci. Face à la RPDC, la diplomatie japonaise a longtemps donné l’image d’une absence de conviction et de stratégie. Pour sa part, Pyongyang n’a jamais caché son hostilité de principe à Tokyo, considéré comme un partenaire stratégique mineur et totalement inféodé aux Etats-Unis. Le retour aux bons sentiments de Pyongyang vis-à-vis de Séoul devrait répercuter une nouvelle vision des relations Corée du Nord-Japon.
Au demeurant, le rapprochement des deux Corées présente quelques incertitudes : on sait qu’une Corée réunifiée et complètement pacifiée empêcherait les Etats-Unis et le Japon d’accéder à un marché ouvert et priverait de raison la présence des troupes américaines en territoire sud-coréen, ce qui pourrait aboutir à une remilitarisation de la République de Corée avec le Japon. L’entité coréenne nouvelle aurait donc les moyens de s’opposer à la mondialisation.
Une chose que la RPDC a su préserver et tiendrait certainement à préserver malgré les pénuries dans tous les domaines, c’est son appareil militaire, clé de son indépendance politique et économique. C’est la quatrième armée du monde en effectif et la première en proportion de sa population, font savoir les experts.
Il est donc question d’une convergence d’intérêts pour les deux Corées d’abord, et pour les puissances régionales et internationales ensuite. La RPDC sert à la Chine de zone tampon à la présence américaine et en retour, la présence américaine en République de Corée est justifiée par la menace en provenance de Pyongyang, voire de la Chine.
N’oublions pas non plus la Fédération de Russie qui a un intérêt indirect dans la question de la réunification coréenne, celui de maintenir la Chine dans ses alliances face aux Etats-Unis. En effet, la tension sino-américaine qui se joue autour de la RPDC, oblige la Chine à être un allié objectif de la Fédération de Russie, et ce, malgré les désaccords stratégiques qui peuvent exister entre les deux pays partageant une frontière immense.
Notons tout de même, pour toucher au but de l’ensemble de nos considérations, que l’enjeu dans toute cette immense tragédie et ses implications n’est pas de savoir s’il y aura un aboutissement heureux dans la démarche du rapprochement diplomatique engageant les deux Corées, mais de savoir comment réunir des frères et des sœurs de part et d’autre d’une frontière hermétique depuis plus de 60 ans d’armistice sans que cela culmine à un accord de paix définitif . La partie à jouer reste complexe, mais l’histoire du monde en a vécu d’autres. Tout espoir est donc permis.
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[1] CONREUR G., « La Corée du Nord au Sud : pourquoi deux Corées ? », dans France culture, 22 janvier 2016.
[2] Ibidem
[3] Il s’agit d’un service militaire obligatoire ou la réquisition par un État d’une partie de sa population afin de servir ses forces armées. Elle se distingue en cela d’un enrôlement volontaire.
[4] Nous proposons, dans cette succession de pages, un résumé on ne peut plus succinct des Histoires des Corées et de plusieurs articles recoupés, offrant quelques menus détails intéressants de l’évolution de la péninsule ou, plus précisément, des peuples qu’elle abrite.
[5] JORLAND P., « Eléments pour une analyse de la question coréenne », dans Recherches internationales, n° 77, mars 2006, p. 12.
[6] Ibidem, p. 13.
[7] Tenue du 17 juillet au 2 août 1945 en Allemagne, elle a consisté, pour les puissances alliées réunies, à fixer le sort des nations ennemies.
[8] CUMINGS B., Child of Conflict, The Korean-American Relationship, 1943-1953, University of Washington Press, Washington, 1983.
[9] GI-WOOK S. et ROBINSON M., Colonial Modernity in Korea, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1999. Les deux auteurs y développent longuement la question.
[10] MAROIS N., « Conflit entre les deux Corées : retour en 4 dates sur l’origine de leur division », dans Europe 1, 09 janvier 2018.
[11] DROZ B., « Qui a gagné la guerre de Corée ? », dans Magazine L’Histoire, n°151, Janvier 1992, p. 120.
[12] On peut trouver d’abondant détails dans la chronologie établie par André FABRE, L’histoire mouvementée du « pays du Matin calme », s.l., s.d.
[13] Ibidem
[14] On retrouve ces informations et celles qui suivent dans divers documents, notamment
[15] Ce rapprochement comme tous les autres qui suivent sont inspirés de l’analyse de Amina BOUAMRIRENE, « Le rapprochement entre les deux Corées en 10 points », dans Asialyst, 6 septembre 2017.
[16] Ibidem
[17] Propos repris par de nombreux médias du monde et, notamment, par des analystes de la diplomatie ou de la politique internationale comme indiqué par Amina BOUAMRIRENE, art. cit.
[18] Ibidem
[19] BERROD N., « Les trois facteurs qui expliquent le rapprochement des deux Corées », dans Le Parisien, disponible sur leparisien.fr, 27 avril 2018.
[20] DESCOURS G., « La reprise du dialogue entre les deux Corées, un enjeu politique, diplomatique et stratégique », dans Le Figaro, du 09 février 2018.
[21] GIBLIN B., « Corée du Sud – Corée du Nord : des relations influencées par les enjeux géopolitiques locaux et régionaux », dans Hérodote, n° 141, 2011.
[22] BOUAMRIRENE A., Art. cit.
[23] DEDKOVA A., « Rapprochement des deux Corées : les réponses à tous les “pourquoi” que vous vous posez », dans Sputnik, 2018.
[24] Propos repris par Ahlam NAZIH, « Le savoir ou la mort » au cœur du miracle sud-coréen, in Reportage N°:5017 du 05/05/2017.
[25] OJARDIAS F., « Le rapprochement olympique avec le Nord divise les Sud-Coréens », dans La Croix, 2018.
[26] DEDKOVA A., Art. cit.
[27] RICŒUR, P., « Imagination, Testimony and Trust », cité par KEARNEY R. et DOOLEY M., Questioning Ethics : Contemporary Debates in Philosophy, Routledge, Londres, 1999, p. 13.
[28] DWYER, S., « Reconciliation for Realists », dans Ethics and International Affairs, n°13, mars 1999, p. 89.
[29] NIETZSCHE, F., « Vom Nutzen und Nachteil der Historie für das Leben », in Unzeitgemässe Betrachtungen, Francfort, Insel Taschenbuch, 1981, p. 118.
[30] HARRISON S.S., « Les incertitudes du rapprochement entre les deux Corées », dans Le Monde diplomatique, janvier 2001, pp.14-15.
[31] CUMINGS B., OBERDORFER D. et MAZARR M.J., North Korea and the Bomb, St Martin’s Press, New-York, 1995 ; HARRISON S.S., Korean Endgame : A Strategy for Reunification and US Disengagement, Princeton, 2002 et « Did North Korea Really Cheat ? », dans Foreign Affairs, janvier-févier 2005.
[32] JORLAND P., Art. cit., p. 28.
[33] DEDKOVA A., Art. cit.
[34] JORLAND P., Art. cit., p. 29.
[35] CHARLES F., « La question coréenne et le problème de la réunification », Thèse de Doctorat en Droit, Ecole Doctorale, Université Nice Sophia Antipolis, 2015, p. 240.
[36] Ibidem.