Patrick LOSSONGO LOSSIYO
Chef de Travaux à l’Université Pédagogique Nationale et Chercheur Associé à l’Institut de Recherche en Géopolitique et d’Etudes Stratégiques/Kinshasa-RDC
Les mouvements citoyens émergent aujourd’hui en Afrique comme fer de lance de la mobilisation pour une réelle transformation sociale dans des pays comme le Sénégal, le Burkina Faso, le Burundi et la RDC. Ils militent pour l’émergence d’une classe politique alternative et restent les sentinelles de la démocratie. Ils ont comme ADN principal, la lutte pacifique et la non-violence. Leur combat consiste à réhabiliter la vigilance citoyenne et l’esprit démocratique. Ils mettent les jeunes africains en garde contre les pièges du discours politicien.
Dans cet article, nous analysons la capacité de ces mouvements à changer la donne politique en Afrique ou à se mobiliser face à des systèmes politiques véreux. Nous cherchons aussi à mesurer le poids géopolitique réel des mouvements comme « Y’en a marre », « Balai citoyen », « Filimbi » et « Lucha », afin de mieux comprendre les enjeux actuels. Ces nouveaux mouvements sont en lien avec l’épuisement du panafricanisme des Etats et la construction de la nouvelle forme du panafricanisme, celle des peuples. Il ne s’agit pas d’une réforme mais d’un dépassement du panafricanisme tel que vu et pratiqué par les dirigeants totalitaristes et apôtres de la pensée unique autour de nouvelles valeurs (le développement, bien vivre, refonte de la démocratie, etc.).
Mots-clés : mouvements citoyens, géopolitique, Afrique
La politisation de la jeunesse est devenue aujourd’hui le trait caractéristique de la plupart des Etats africains gagnés par les démons de la pensée unique, de présidence à vie et de la démocratie de pacotille ainsi que le jeu de passe-passe constitutionnel.
Ce questionnement autour des mouvements sociaux : leur histoire, leurs évolutions, leurs enjeux, etc., est le fruit de la montée en puissance de nouveaux mouvements citoyens qui ont poussé les mouvements organisés et la société civile à s’interroger. L’année 2011 est l’année charnière de l’apparition de ces nouvelles mobilisations : le printemps arabe, les Indignés, etc. Elles posent la question de leurs caractéristiques et de leurs conséquences.
Ce n’est pas seulement une nouvelle forme de mobilisation, c’est un nouveau modèle qui pose de nouvelles questions, comme savoir : comment organiser la vie démocratique du lieu d’occupation. En effet, un autre point commun entre ces nouveaux mouvements citoyens est le refus de dissocier la question de la démocratie interne des revendications externes. L’objectif n’était pas de formuler des propositions pour entrer ensuite dans une phase de négociation, mais plutôt d’expérimenter par l’action directe le type de société souhaitée.
L’attrait pour l’horizontalité et le refus de la délégation est une autre similitude entre ces mouvements. Il y a la volonté de ne pas faire émerger une figure individuelle ou un leader. Des mouvements qui défient les régimes totalitaristes dans leur pays respectifs tout en défendant les valeurs républicaines et la démocratie d’une manière globale. Ils sont plus que jamais convaincus que c’est par eux que viendra le changement dans leur pays. Tous adoptent une dénomination imagée exprimant clairement leur défiance aux pouvoirs en place.
Toutes ces nouvelles sentinelles 2.0[1] s’inscrivent également dans la mythologie révolutionnaire africaine. Ils se posent volontiers en héritiers de figures respectées et admirées du continent, comme Cheik AntaDiop, Thomas Sankara ou Patrice Lumumba. Leurs leaders se posent en défenseurs du panafricanisme, fustigeant sans ménagement l’impérialisme occidental.
Mais ces mouvements n’échappent pas aussi aux critiques de certains décideurs politiques africains, qui les considèrent comme des apprentis révolutionnaires sans scrupule, des comploteurs, des terroristes qui n’ont comme unique mission que d’embraser les institutions légalement établies. Concernant les groupes Filimbi et Lucha, le gouvernement de la RDC a considéré les méthodes d’opérations de ces mouvements qu’il qualifie de subversif comme des modèles qui ne constituent pas du tout des références qui ne sont ni moralement, ni politiquement recommandables.[2]
Mais au-delà de tout, l’engagement civique des jeunes dans de pays comme le Sénégal, la RDC, le Cameroun et le Burkina Faso n’est plus à démontrer, de même que leur rôle dans les élections et le plaidoyer pour le respect des lois fondamentales.
I. EVOLUTION DE L’EXPRESSION CITOYENNE EN AFRIQUE
Une analyse historico-descriptive de la participation citoyenne permet de mieux appréhender les conditions d’émergence de nouvelles dynamiques participatives. C’est dans cette optique que nous aurons recours à la sociologie des mouvements sociaux. Nous nous appuierons notamment sur les travaux de Catherine Neveu afin de mieux comprendre les conditions d’émergence d’un mouvement comme Y’ en a marre, Balai citoyen, Filimbi et Lucha mais également l’ampleur de leur succès.
Une transposition de l’interrogation de Neveu[3] sur le lien entre les anciens mouvements sociaux et ceux que nous observons présentement au contexte africain, nous aidera à mieux éclairer notre problématique. Cependant, nous optons pour un intervalle de temps plus long pour nous demander si les nouvelles dynamiques participatives telles que Y’en a marre sont les héritières des mouvements socioculturels et politiques au Sénégal, de la période coloniale aux années 1990.
En plus de la sociologie des mouvements sociaux et la sociologie classique qui permet de mettre en exergue les causes de tels mouvements, nous allons emprunter d’autres outils tirés de la sociologie argumentative, plus particulièrement l’étude des trajectoires à partir des travaux de Francis Château Raynaud.
Elle s’appuie sur la sociologie pragmatique pour montrer comment de nouveaux arguments vont surgir pour porter leur cause dans l’espace public. Il fait également un focus sur l’expression de rapports de forces entre acteurs, en montrant comment s’élaborent et se transforment les relations entre acteurs. Le recours à l’analyse sociologique de l’argumentation nous semble nécessaire pour mettre en exergue le type de représentation engagé par un argument.[4]
La transposition des mouvements participatifs qui se sont développés un peu partout dans le monde a donc été déterminante pour une mise à agenda de la participation dans l’agenda public africain. Le climat de contestation au niveau mondial. Le rôle du contexte international est également perceptible à travers les appels de plus en plus pressants des pays occidentaux à une plus grande démocratisation de pays africains.
I. 1. Des instrumentalises des puissances néocolonialistes
Vrai ou faux ces mouvements citoyens sont soutenus par les puissances occidentales pour régler les comptes aux décideurs politiques en Afrique ? Est-il vrai que les chancelleries occidentales en Afrique se cachent derrière tous ces mouvements et collectifs ? Voir ainsi les choses, c’est méconnaître en quelque sorte l’histoire de l’Afrique et des Etats comme le Congo ou le Burkina Faso dont les peuples respectifs ont passé la plus grande partie de leur histoire à supporter des régimes imbuvables ou à se leurrer de vains espoirs de réforme.
C’est connu de tous, en Afrique, lorsqu’un régime est aux abois, il stigmatise toujours les étrangers. Derrière toute tentative de consolidation d’une réelle conscience citoyenne, les politiciens africains voient toujours la main basse de l’occident. Entre les citoyens et les dirigeants africains qui ont ouvert davantage les portes de nos Etats aux puissances prédatrices ? N’est-ce pas les dirigeants ? Qui font les tours de grandes capitales occidentales pour chercher le pouvoir ?
Considérer les nouvelles sentinelles de la démocratie en Afrique comme des instrumentalisés de l’occident est ni plus ni moins qu’une interprétation erronée de la vraie valeur de ces mouvements qui s’inscrivent dans la dynamique du panafricanisme par le bas. Le panafricanisme des autocrates à condamner le devenir du continent sur l’autel de la Françafrique, la Chinafrique et l’AGOA.
Sans un nouvel imaginaire politique incarné par les peuples et surtout par une jeunesse épris par le sentiment de la liberté et du respect de valeurs démocratiques, l’Afrique restera ce grand trou noir dans un monde qui bouge. Des mouvements comme Podemos en Espagne, les contestataires de la loi du travail en France sont-ils toujours instrumentalisés ? Maintenant par qui ?
Les jeunes africains veulent tout simplement se donner les moyens de contrôler les pouvoirs qui se mettent en place dans leurs pays respectifs.
C’est juste une jeunesse africaine qui refuse d’être attentiste, croiser les bras et penser que la solution aux problèmes de leurs Etats viendra du ciel. Elle croit fermement que le destin de l’Afrique repose entre les mains des Africains, et non de l’Occident ou de l’Orient. Il faut à tout prix que les statuts des « hommes providentiels » et des « pères de la nation » tombent un peu partout en Afrique comme des dominos, dans un grand nuage de plâtras. C’est un véritable mouvement panafricain, au sens géopolitique du terme.
Etre « panafricain » peut se réduire à quelque chose de vague, de fumeux et d’idéaliste, à une « négritude » littéraire et le culte des « martyrs » à ceci de commode qu’aux morts, on fait dire n’importe quoi. Mais, comme l’écrivait Gilles OlakounléYabi : « Voir les choses en blanc ou en noir, un peu à la George W. Bush, n’est, il est vrai, pas très sophistiqué et rarement correct.
N’empêche que dans les pays africains aujourd’hui, deux groupes se font bel et bien face : celui des femmes et des hommes qui ne pensent qu’à eux et aux leurs (la famille élargie parfois au clan ou au groupe ethnique) et sont prêts littéralement à tout pour conserver leur confort ou l’améliorer, et celui des personnes qui ne veulent pas de sociétés bâties sur l’égoïsme et l’absence de la moindre valeur partagée[5]. Dans beaucoup d’endroits sur le continent, le rapport de forces est pour le moment clairement favorable aux premiers, et de loin. Jusque-là, ce sont les premiers qui enterrent les seconds, au propre et au figuré. Mais ils ne les enterreront pas tous. »
Pour être réellement efficace politiquement, le panafricanisme doit être vrai, c’est-à-dire pris dans le sens que lui donnaient N’Krumah, Sankara, Padmore ou Amilcar Cabral : aller vers la construction d’un véritable pouvoir populaire, d’une forme africaine de socialisme.[6]
I. 2. Vers une nouvelle culture politique globale
Il apparaît aujourd’hui que toutes les revendications pour l’émancipation sont légitimes dans une vision politique globale. La problématique du changement et de l’émergence d’une nouvelle culture politique en Afrique est globale, elle requiert donc une vision globale. Pour éviter que les politiciens soient les seuls à déterminer le débat politique autour de l’avenir de nos Etats.
L’Afrique est détruite sur le plan global, pour changer les choses et espérer voir les Africains vivre dans un continent à sortie de la peur et du besoin, il faut une réponse systémique globale. Les mouvements citoyens en Afrique poussent aujourd’hui les partis politiques à s’interroger.
Ces mouvements portent sur le devant de la scène des acteurs qui n’étaient pas insérés dans des organisations de la société civile ou dans les mouvements sociaux institués. Et qui dit nouveaux acteurs, dit nouvelles questions et surtout nouvelle culture organisationnelle et nouvelle culture politique. Ce que ça pose comme question pour les acteurs de la société civile organisée se situe à la fois dans les revendications que portent ces mouvements, cette aspiration à une démocratie directe externe dans la société dans son ensemble. Et ça renvoie aussi et surtout à la démocratie interne et à la manière dont s’organisent nos Etats.
Il apparaît aujourd’hui que la société civile a besoin, pour reconstruire sa reconnaissance, sa légitimité et son influence, d’affirmer son autonomie vis-à-vis du pouvoir politique et de s’investir sur la formulation et la gestion des politiques sectorielles, qui requiert des expertises et des modes d’organisation spécifique.
Aujourd’hui, il se joue le passage d’une logique de gouvernement à une logique de gouvernance, les politiques publiques ne sont plus l’apanage des seuls pouvoirs publics, mais d’une multitude d’acteurs. L’effet de réintéresement à la chose publique et de reconnexion à la citoyenneté est l’un des enjeux de la démocratie participative. Face à la montée d’une démocratie de l’abstention et face à la distance croissante d’une partie de la population avec la sphère publique, les questions concrètes et locales peuvent faire cette reconnexion.
La jeunesse africaine consciencieuse s’intéresse aujourd’hui de la gouvernance de leurs Etats dans la perspective de recadrer la dynamique de la démocratisation d’un certain nombre d’Etats africains avec les vraies valeurs africaines ; donner un nouveau contenu à l’idée de la gouvernance démocratique et sonner le glas des régimes ploutocratiques dans l’ensemble du continent. Une trentaine de militants africains se sont d’ailleurs réunis fin juin 2015 à Ouagadougou, en marge du festival Ciné Droit Libre.
Le thème de l’événement culturel, « Quand la jeunesse se met debout ! », a donné le ton de cette rencontre, qui s’est achevée sur la signature de la Déclaration dite de Ouagadougou[7]. Celle-ci fixe une feuille de route commune, dans le but d’aboutir à la création d’une plateforme panafricaine des mouvements citoyens. Si le texte prévoit la mutualisation des stratégies et des moyens, la première préoccupation exprimée était celle de la libération d’activistes détenus en RDC, Fred Bauma[8] et Yves Makwambala.[9]
Ce qui surgit en filigrane de cette mobilisation de la société civile africaine, est une situation économique et sociale qui offre peu de perspective à une jeunesse en pleine explosion. Ces nouvelles sentinelles de la démocratie en Afrique ont atteint la masse critique qui permet de surprendre des régimes trop sûrs de leur capacité à faire peur aux citoyens anonymes, à acheter les éventuels leaders d’opinion et à ridiculiser leurs opposants les plus irréductibles.
Des organisations qui font preuve d’une certaine maitrise et parviennent souvent, sauf dans le cas de Filimbi et de Lucha en RDC, à une mobilisation tous azimuts en faisant preuve à la fois de la stratégie, de la tactique, des plans, des moyens et d’une capacité à réagir vite et à s’adapter, et une détermination à aller jusqu’au bout. le signal donné par « Y’en a marre » et « Balai citoyen » reste positif et fort pour la plupart de jeunes africains confrontés par des dictatures obscurantistes et démolisseuses à l’égard des peuples africains qui ne rêvent que de vivre mieux dans leurs propres Etats.
Finie l’époque où la libéralisation politique n’aurait aucune influence sur la gouvernance politique, fini le temps où le jeu des élections périlleuses et dénuées de toute valeur démocratique qui opposeraient les uns et les autres dans les pays africains. Changer la gouvernance politique par l’éveil citoyen, c’est donner un nouveau contenu à la démocratie électorale en Afrique, et par ricochet, à l’ensemble du jeu politique des Etats qui n’ont appris qu’à se professionnaliser dans l’art du politiquement incorrect.
Ces mouvements citoyens africains sont conscients qu’un changement de régime n’est pas facile à obtenir. Mais un changement radical et durable de la gouvernance d’un pays est encore plus difficile à provoquer. Ils n’ont comme objectif que bâtir des nouveaux Etats africains, beaucoup moins corrompus, plus équitables et plus agréables à vivre. Une vision noble qui nécessite beaucoup d’abnégation et d’engagement pour voir ses idées triomphées dans une Afrique prise en tenaille par les forces prédatrices et obscurantistes.
Le combat de ces mouvements de la jeunesse africaine n’aura plus de chance d’aboutir que s’ils réussissent à transformer dans le chef de jeunes africains la conception de la politique comme un jeu à somme nulle dans lequel le clan qui détient le pouvoir peut utiliser tous les moyens sans exception pour conserver la mainmise sur tous les leviers de l’Etat et sur les ressources économiques du pays avec l’assentiment, ou au moins la tolérance tacite d’une grande partie de la population qui n’a souvent connu que ces pratiques politiques antinomiques à la poursuite de l’intérêt général.
I. 2. Poids géopolitique des mouvements citoyens en Afrique
Toute dictature, tout régime totalitariste renversé par la force est toujours remplacé par une autre tyrannie. La démocratie n’écoute pas le langage des forces et de la pensée unique. Pour comprendre le socle des régimes hérétiques en Afrique, il faut bien décoder la place combien important que ces républiques de la farce et de tragi-comédie réservent à la contrainte, à la ruse et à l’intimidation.
Si on prend compte les régimes des présidents-fondateurs comme celui de Maréchal Mobutu, Sekou Touré, Hissene Habré, Jean Bedel Bokassa, Félix Houphouët Boigny, Etienne Eyadema, Juvénal Habyarimana, etc. tous ont été chassés du pouvoir soit mort brusquement sans que ceux qui étaient venus après eux soient en mesure de restaurer politiquement, économiquement et démocratiquement ces Etats.[10]
« Tout pouvoir est une conspiration permanente », écrivait Honoré de Balzac dans son roman sur Catherine de Médicis. Des régimes qui ont dépouillé du sens de l’honneur et du travail, des peuples dépossédés de leur être. Ces mouvements citoyens luttent aussi contre les politiques de leurs Etats respectifs qui ont des allures d’une pièce de théâtre.
Un peuple vigilant, une jeunesse engagée est plus forte qu’un mouvement de rebellions soutenues par n’importe quelle puissance impérialiste. Ces mouvements citoyens promeuvent en cela une vague de fond que l’on doit considérer aujourd’hui comme un changement radical en cours dans le monde entier. Que ce changement soit une mutation de taille dans la pensée économique mondiale maintenant, il suffit de lire la littérature courante dans ce domaine pour s’en convaincre. Une houle chargée d’indignations, de révoltes et de résistances face aux idéologies jusqu’ici dominantes se lève. Elle est vigoureuse et elle annonce des bouleversements fertiles.
Ils remettent en question des dominations, des asservissements, des exploitations, des prédations, des aliénations et des soumissions, quelle que soit leur forme. Un peu comme à un certain moment de l’histoire l’esclavage était devenu insupportable à la conscience humaine ; de même qu’aujourd’hui le totalitarisme horripile tout africain[11] normalement constitué, l’Afrique entre dans une période où les mandats illimités au pouvoir, les passe-passe constitutionnel et l’inconscience éthique des décideurs politiques apparaissent comme une barbarie, une sauvagerie. Ni plus ni moins. La jeunesse africaine veut autre chose : une mutation radicale de l’imaginaire politique et de l’anthropologie qui la justifie.
Raison pour laquelle la jeunesse africaine partout en Afrique se soulève contre les formes d’expression politique coercitives et dictatoriales. Ces nouvelles sentinelles de la démocratie en Afrique ont une influence certaine sur le jeu politique de leurs Etats respectifs.
Les quatre dernières années marquées en Afrique par les désillusions politiques, ont créé un terreau propice à la nouvelle expression géopolitique et démocratique de contestations de pouvoirs totalitaristes dans le continent. Des mouvements comme Y’en a marre », « Balai citoyen », « Filimbi » et « Lucha » s’inscrivent dans l’égalitarisme qui se conjugue à l’anti-autoritarisme. Ils tentent de ressusciter l’esprit protestataire et révolutionnaire qui a caractérisé l’Afrique des années 1960. D’autres observateurs de la vie politique en Afrique craignent que ces mouvements basculent facilement dans le nihilisme.
Mais on observe de plus près, toutes ces sentinelles de la démocratie au Sénégal, au Burkina Faso, en RDC et au Burundi sont tout simplement contre une large partie des élites politiques de leurs pays qui gèrent les Etats avec une lancinante mauvaise conscience. Le retentissement de ces mouvements tient aussi, à ce que l’expression de cette mouvance parfois violemment anti-autoritaire demeure fort compatible avec l’idéologie des droits de l’homme. Mais il sied aussi de relever le fait que la nébuleuse des mouvements citoyens en Afrique va des doctrines paléo-marxistes les plus rigides à des militants aussi spontanéistes que pragmatiques.
La faiblesse géopolitique de ces mouvements citoyens est qu’ils se satisfassent de leur sur-médiatisation surtout via les réseaux sociaux et se réjouissent des bons tours joués aux régimes politiques qu’ils considèrent comme anti-démocratiques et infâmes, car jusqu’à présent, ces organisations citoyennes s’exposent au risque de tous les amalgames protestataires surtout dans de pays comme la RDC, le Congo-Brazzaville et le Burundi.
Leur tentative de contrer la dictature et la pensée unique rencontre pour le moins un succès mitigé. Mais d’une manière globale, tous ces mouvements citoyens en Afrique ont en commun d’étranges similitudes de comportement, une même vision de l’Afrique actuelle, un même espoir révolutionnaire. Il y a lieu d’ajouter aussi : un mépris similaire pour la gouvernance démolisseuse et la dictature.[12]
Géopolitiquement parlant, il y a lieu d’attendre de Y’en a marre », « Balai citoyen », « Filimbi » et « Lucha » une régénérescence de la grande philosophie politique du panafricanisme. Débarrassé des tares de la guerre froide et des élites qui appelaient à l’unité africaine sans parvenir à dégager les éléments géopolitiques à partir desquels devraient se fonder cette unité. Mais ces mouvements citoyens s’orientent de plus en plus vers un révisionnisme qui se prétend fidèle aux valeurs éthiques du panafricanisme. Ils rêvent tous d’une Afrique où « le pouvoir, la richesse et le progrès » seront dans les mains du plus grand nombre et non d’une minorité et surtout d’une élite politique phagocytée par l’occident.
Leur poids géopolitique réel est de mobiliser autour de leur vision, les ressources intellectuelles qui s’efforcent de penser les transformations à l’œuvre aujourd’hui dans la plupart des Etats africains. L’Union Africaine, les organisations régionales et sous régionales, les partis politiques sont insensibles aux changements de l’Afrique, sont dans une logique qui refuse le changement global et total en Afrique.
Et cette insensibilité propulse Y’en a marre », « Balai citoyen », « Filimbi » et « Lucha » au sommet de la lutte contre la cause des opprimés et de laisser pour compte dans l’ensemble du continent. Aux dirigeants actuels chantres de passe-passe constitutionnel de comprendre que les idées ont plus d’efficacité en politique qu’on l’imagine généralement.
« J’ai toujours pensé que la politique est d’abord et avant tout une question d’idées », affirme crânement Tony Blair.[13] Le grand souci des mouvements citoyens en Afrique est de définir un nouveau projet panafricaniste pour l’avenir. Ils sont, plus que jamais, déterminés à développer des approches radicalement nouvelles. Or, ces approches ne peuvent amener à quelque chose que, si les Africains parviennent à casser les réflexes élitistes, à se remettre en cause pour défendre et assumer les valeurs de liberté, de solidarité, de justice, de modération et de respect de la diversité, qui ne sont la propriété d’aucun continent, d’aucune civilisation.
Le temps de choisir clairement le camp de celles et de ceux qui ne se contentent pas de rêver d’une autre Afrique, mais qui se proposent d’y travailler concrètement, patiemment et résolument. Choisir le camp de celles et de ceux qui ne voient pas seulement les problèmes, les tares, les drames, tous réels et graves, qui assaillent leurs pays et leurs sociétés mais qui apprécient avec la même justesse l’ampleur des efforts accomplis tous les jours par des femmes et des hommes d’un courage et d’une bonne volonté exceptionnels, ainsi que la formidable énergie créatrice des générations actuelles et le potentiel encore plus immense des générations futures.
Rêver à nouveau, en Afrique, de grandes réalisations collectives. Rêver d’un autre présent, et surtout, d’un autre futur que celui qu’on entrevoit. Rêver la nuit mais se réveiller le jour, et le rester aussi longtemps que possible, pour regarder les sociétés Etats-africaines tels qu’ils sont aujourd’hui.
Ni obstinés, ni liquidateurs, « Y’en a marre », « Balai citoyen », « Filimbi » et « Lucha », cherchent à définir un nouveau panafricanisme considérant que le chemin de pouvoir totalitariste et roublard est à bout de souffle sur l’ensemble du continent techniquement et idéologiquement. Mais il ne faudra pas que ces nouveaux mouvements citoyens soient seulement portés par une indignation morale abstraite, il leur faut une analyse sérieuse de la grave question de la démocratie en Afrique.
Sa forte dimension symbolique leur a assuré un important écho-médiatique. Mais dans un pays comme la RDC, la mobilisation des jeunes engagés de Filimbi et de Lucha n’a pas su déboucher sur un mot d’ordre politique efficace.
Inspirés par la méthode de l’agitation-propagande, beaucoup de ces mouvements privilégient l’impact dans les medias surtout occidentaux à la résolution des vrais problèmes. Même s’ils ont aujourd’hui le mérite de faire émarger dans l’agenda politique des questions occultées. Au-delà de tout, la régénération du panafricanisme devient aujourd’hui le leitmotiv de ces nouvelles sentinelles de la démocratie en Afrique, car la jeunesse africaine doit impérativement à ce XXIe siècle refuser la résignation synonyme de subordination. Exceptés le Filimbi et la Lucha, les mouvements ouest africains comme « Y’en a marre » et « Balai citoyen » ont réussi à produire dans le chef de la jeunesse sénégalaise et burkinabé le reflexe nécessaire à la désinféodation.
Notre préoccupation dans cet article, à la lumière de ce qui précède, était d’appréhender le poids géopolitique réel de ces mouvements et les voies et moyens qu’ils proposent pour tirer l’Afrique du gouffre et extirper dans les germes de l’élite politique africaine cette pathologie de vouloir demeurer ad vitam aeternam au pouvoir.
La longévité au pouvoir des monarques républicains qu’on retrouve un peu partout en Afrique, devient aujourd’hui le vrai goulot d’étranglement qui justifie l’infertilité de l’Afrique dans la dynamique de la gouvernance mondiale.
Les valeurs de travail, d’empathie, d’honnêteté et de refus de la violence dans la vie publique ont été sérieusement battues en brèche par les gouvernants et ont été progressivement mais sûrement remplacées par l’adoration du « Dieu Argent » et par son corollaire, une morale qui veut que la fin justifie tous les moyens.
Dans la phase critique parce que fondatrice de la formation des Etats -nations africains dans leurs frontières actuelles, les six dernières décennies pour beaucoup, les quatre dernières pour les anciennes colonies portugaises, ce sont les élites les plus cupides qui se sont trop souvent imposées. Il n’y a hélas aucune raison pour que l’arrivée de nouvelles élites suffise à régénérer les valeurs piétinées par leurs prédécesseurs, à assainir les pratiques qui gouvernent le jeu politique, à cesser de faire de certains cercles de pouvoir en Afrique des lieux de distribution de mallettes bourrées de billets de banque à des courtisans et des mafieux impliqués dans toutes sortes de travail.
Ces mouvements ont comme défis à relever d’empêchement l’accession au pouvoir des élites avides de pouvoir et d’argent sur celles qui ne sont pas allergiques au pouvoir et à l’argent mais aimeraient également contribuer au développement économique et social de leur pays et permettre ainsi à la descendance de leurs compatriotes qui ont eu moins de chances à la naissance de jouir d’une vie meilleure. Les règles actuelles de la compétition politique sur le continent ont tendance à sélectionner insidieusement au plus haut niveau des Etats une trop grande proportion d’élites peu concernées par l’intérêt général.
Les autres, ces personnes qui croient que les qualités les plus importantes pour entrer dans le cercle des décideurs sont la compétence, l’ardeur au travail, le sens du service public, finissent par comprendre qu’elles n’ont qu’une chance imitée de survie dans un tel système. Elles n’ont alors que deux options : jeter aux orties leurs convictions et faire ce qu’il faut pour se faire une place, ou jeter l’éponge et sortir du monde impitoyable de ceux qui tiennent les rênes de l’Etat.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Communication de Lambert Mende, Ministre de la communication et Medias le 18 Mars 2015, in Journal l’Avenir
« Déclaration de Ouagadougou des mouvements citoyens africains », Wakat Info, 3 août 2015.
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KODJO E., Léopold Sedar Senghor n’a-t-il pas eu tort d’avoir soutenu que tous les continents étaient en quête de leur unité et que l’Afrique ne serait pas la dernière à la trouver lorsque la mondialisation lui en confisque la prétention ? Jean Ping dans « Réussir le réveil africain fait l’impasse de la volonté africaine de nouvel ordre mondial », dans Géopolitiqueafricaine, n°37, Juillet-septembre 2010.
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SAVANE V. et SARR B-M., Y’en
a marre : Radioscopie d’une jeunesse insurgée au Sénégal, L’Harmattan,
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[1] Ils sont considérés comme tels en rapport avec l’utilisation des réseaux sociaux et de l’interactive qu’il en résulte.
[2] Communication de Lambert Mende, Ministre de la communication et Medias le 18 Mars 2015, in Journal l’Avenir
[3] NEVEU C., « Démocratie participative et mouvements sociaux : entre domestication et ensauvagement ? », dans Participations, 1 (1), 2011 p. 186-209
[4]CHATEAU R.F., Argumenter dans un champ de forces : Essai de balistique sociologique, Pragmatismes, Editions Petra, Paris, 2011, p. 10.
[5] KODJO E, Léopold Sedar Senghor n’a-t-il pas eu tort d’avoir soutenu que tous les continents étaient en quête de leur unité et que l’Afrique ne serait pas la dernière à la trouver lorsque la mondialisation lui en confisque la prétention ? Jean Ping dans « Réussir le réveil africain fait l’impasse de la volonté africaine de nouvel ordre mondial », dans Géopolitique africaine, n°37, Juillet-septembre 2010.
[6] NGUYEN V.C., Les politiques d’unité africaine, St. Paul, Lubumbashi, 1975, p. 44.
[7] « Déclaration de Ouagadougou des mouvements citoyens africains », dans Wakat Info, 3 août 2015.
[8] Membre de la LUCHA (Lutte pour le changement), mouvement pacifique situé à Goma.
[9] Webmaster de Filimbi.
[10] BIYOYA M.P., Quête africaine de l’Ordre mondial, L’Harmattan, Paris, 2013, p. 66.
[11]NEVEU C., Op. cit., pp. 2-5.
[12] SAVANE V. et SARR B-M., Y’en a marre : Radioscopie d’une jeunesse insurgée au Sénégal, L’Harmattan, Paris, 2012, p. 22.
[13] EMMANUEL A., Comprendre la Grande Bretagne de Tony Blair Bilan d’une alternance politique, Septentrion, Presses Universitaires, 2001, p. 33.