Lukunga Ngomba Felly
Secrétaire Général de l’Institut de Recherche en Géopolitique et d’Etudes Stratégiques (IRGES)
- Intervention militaire basée sur la trame mémorielle
D’entrée de jeu, il sied de circonscrire le contexte géopolitique des opérations russes en Ukraine. En effet, le Président Vladimir Poutine a construit le narratif de son intervention militaire par l’exaltation de la nostalgie de la Grande Russie dans laquelle l’Ukraine est comptée. Il se présente ainsi comme le Rassembleur des terres russes perdues par la tombée en désuétude de l’URSS en 1991.
La perte de l’Ukraine en 1991 paraît comme une erreur stratégique de la géopolitique russe en ce sens que ce territoire est considéré comme la base mémorielle de la civilisation slave mais également en termes de sa géographie politique.
La perte d’un allié russe à savoir : Victor Lanoukovic pour l’instauration d’un régime pro-européen et américain en 2013 va conduire la Russie à intervenir en Crimée (République autonome attachée à l’Ukraine) pour la’annexer à son territoire. Cela était consécutif à un narratif construit par le Kremlin en présentant le nouveau pouvoir ukrainien comme fasciste et une menace des intérêts russes.
En termes simples, l’Ukraine considère la Russie comme une menace de sa sécurité. D’où son rapprochement à l’Europe et aux États-Unis d’Amérique par le truchement de l’OTAN. De l’autre côté, la Russie perçoit ce rapprochement comme une menace de sa sécurité. Ainsi s’installe une crise de confiance entre la Russie et le monde occidental.
La trame des évènements actuels ne peuvent pas être pris en compte sans les faits historiques et mémoriels sus-évoqués.
- De l’évidence de la fébrilité de l’Occident et la mise en perspective des divergences européennes
L’intervention de la Russie en Ukraine nous conduit à se rendre compte de l’évidence selon laquelle, les États-Unis d’Amérique ne sont plus la première puissance militaire mondiale (c’est la Russie qui l’est). Ils ne sont plus non plus la première puissance économique mondiale (c’est la Chine qui l’est).
La Chine a pu consolidé sa puissance économique mondiale durant la période de la pandémie à Corona virus qui a frappé durement les États-Unis d’Amérique et ralenti ses activités économiques. La Russie a pris les précautions d’intensifier ses rapports économiques avec l’empire du Milieu afin rééquilibrer sa dépendance économique vers l’Europe.
Au plan militaire, ce rééquilibrage géopolitique se cristallise par l’échec de l’OTAN en Syrie où l’appui russe a été considérable au bénéfice du régime baasiste de Bachar el-Assad. Le monde vient d’être témoin de l’incapacité américaine et de l’Occident de manière générale face au retour des Talibans en Afghanistan. La Corée du Nord et la Chine continuent d’agrandir leurs arsenaux militaires sous l’œil passif de l’Occident.
En Afrique, il se constate de plus en plus la montée de l’influence russe dans la géopolitique régionale, remettant en cause l’équilibre stratégique traditionnel.
Il sied, en outre, de noter que la Russie est, en ce jour, très avancée en technologies militaires. Cette dernière dispose des lanceurs hypersoniques de missiles capables d’atteindre n’importe quelle cible au monde dont les moyens d’interception n’existent guère.
Ainsi, cette intervention militaire est un message fort de Poutine à l’Occident. C’est une guerre livrée contre l’Occident, pas vraiment contre l’Ukraine.
Malheureusement, il se constate un isolement de l’Ukraine au regard de sa main tendue à l’Occident. D’où la question : A quel moment l’Occident peut se sacrifier pour l’Ukraine ?
Nous tenterons de répondre à cette question en ces termes : “tant qu’aucun Etat membre de l’OTAN ne sera la cible des attaques russes, nous envisageons pas l’intervention occidentale en Ukraine.” Il faut aussi comprendre que dans le contexte géopolitique actuel, la guerre paraît comme un investissement dont la rentabilité est en prospective. Les États-Unis d’Amérique et/ou l’OTAN sont intervenus en Irak et en Libye pour les ressources énergétiques que regorgent les deux États.
Il faut aussi noter que l’hésitation américaine, la fébrilité du système de défense militaire européenne et l’incompromis diplomatique et politique de l’Europe quant aux types de sanctions et à l’éventualité d’une riposte militaire contre la Russie ne jouent qu’en défaveur de l’Ukraine.
Une intervention abracadabrantesque de l’Occident contre la Russie peut tourner au vinaigre contre l’Europe. En effet, sa dépendance au gaz russe constitue un handicap pour prendre des sanctions économiques contre le Kremlin. En véritable stratège, Vladimir Poutine a prospecté toutes ces éventualités et sait où appuyer pour tourner l’Europe et les États-Unis d’Amérique en dérision.
- Scénarios possibles et envisageables
La situation en Ukraine ouvre plusieurs pistes de réflexion que nous ne saurions éplucher à travers cette tribune.
Vladimir Poutine justifie son intervention par la protection de la population russophone de Donbass et Louhansk victime, selon lui, du génocide perpétré par le pouvoir ukrainien.
Il se méfie du rapprochement de l’Ukraine avec l’Occident et son adhésion à l’OTAN. Il se constate, en même temps, un déploiement des forces russes disséminées sur les points stratégiques de l’Ukraine.
Je me joins à Patrick Lossongo pour dire qu’il appert nettement que la Russie s’appuie sur l’OTAN pour justifier l’organisation de son pouvoir et la place des forces militaires dans son pays.
D’où les questions suivantes :
- Jusqu’où Poutine peut-il aller ?
- Va-t-il rattacher le Donbass et Louhansk (régions séparatistes pro-russes) à la Russie ?
- Le renversement du régime en place et son remplacement par un pouvoir pro-russe sont-ils envisageables ?
- Comment arrêter cette Russie de Poutine qui monte en puissance et en confiance ?
- Sommes-nous en train d’inaugurer une nouvelle ère de la géopolitique internationale avec des nouvelles forces en présence ?
- Cette intervention militaire ne va-t-elle stimuler la Chine dans sa quête de reconquête du Taiwan ou de la Corée du Nord sur la Corée du Sud ?
- Face à une Ukraine abandonnée, l’Afrique doit-elle continuer à compter sur un Occident qui ne voit en elle qu’une zone soumise à l’ordre des africanophages ?
Notre science vient d’être secouée.