Lambert MENDE OMALANGA
RESUME
Depuis la prise de conscience du rôle néfaste des médias de la haine tant au Rwanda que dans la sous-région des Grands Lacs africains, il y a lieu de mener une réflexion sur la problématique de la gestion médiatique des crises qui sévissent dans cette partie de l’Afrique.
Cette réflexion scrute, avec des exemples pratiques et observations scientifiques, l’influence des médias tant occidentaux qu’africains sur les questions sociopolitiques de la sous-région des Grands Lacs alimentant ainsi autant des préjugés et des tensions.
Mots-clés : médias, crises, Grands Lacs africains
INTRODUCTION
La sous-région des Grands Lacs africains est considérée comme un des espaces les plus fragiles du continent africain, particulièrement depuis que le génocide rwandais de 1994 y a perturbé gravement la paix et la sécurité. Géographiquement, cette sous-région s’étend à l’horizontal entre l’Océan Indien à l’Est et l’Océan Atlantique à l’Ouest et à la verticale des confins du Soudan du Sud au Nord à la copperbelt entre la République Démocratique du Congo et la Zambie au Sud. Depuis 1994, cet espace est devenu une véritable poudrière à la suite d’une succession de conflagrations récurrentes aussi bien entre Etats qu’intercommunautaires. Bien que n’étant pas tous liés à la tragédie rwandaise, ces événements se nourrissent des conflictualités et des pratiques d’arbitraire ainsi que d’une sorte de culture du droit de la force substitué à la force du droit qui s’en est suivie.
Cette réflexion est destinée à scruter le rôle joué par les médias, particulièrement occidentaux, qui, à l’heure de la mondialisation, arrosent à longueur de journées le vécu des populations de toutes les catégories sociales dans la déstabilisation de la plupart des Etats et des communautés ayant en partage les terres qui s’y trouvent grâce à de puissants relais directs ou indirects que leurs détenteurs s’y sont aménagés. Il s’agit d’évaluer leur impact dans la destruction au sein de cet espace de ce que Nancy Gibbs[1] qualifie de « faith in eachother and ourcore institutions » (la foi des uns dans les autres et dans nos propres institutions) et qui cimente la convivialité dans les communautés humaines depuis l’apparition de l’Etat-Nation.
Comment appréhender l’action des médias dans les crises qui se sont produites ces dernières décennies impliquant les Etats des Grands Lacs africains ? Jusqu’où les puissances internationales interfèrent-elles dans ces crises grâce aux relais médiatiques et dans quelle mesure les médias africains se conforment-ils – ou résistent-ils – à la vision hégémonique de l’Occident ?
Les médias dits « globaux » semblent s’être assignés le rôle d’imposer aux peuples vaincus de l’hémisphère Sud (esclaves, colonisés, néo-colonisés) la vision des vainqueurs à l’élaboration de laquelle ils n’ont jamais contribué. Après l’ère des indépendances qui ont suivi la parenthèse étouffante de l’esclavage et de la colonisation, la dignité humaine et l’ingérence dite humanitaire sont devenues des véritables instruments de l’exhibitionnisme missionnaire occidental au service d’une perception manichéiste du monde.
C’est grâce aux médias qu’un esclavagiste sans complexes comme Bartolomé de Las Casas a pu passer pour un humaniste en se faisant l’avocat de la libération des esclaves indiens et de leur remplacement par les Noirs « dépourvus d’âme ».[2] C’est grâce à eux que la cynique duplicité du roi des Belges, Léopold II au Congo avait suscité la béate admiration des bonnes âmes de son époque.[3] C’est dire l’impact des médias dans la représentation qu’ont les hommes du monde, des faits et des idées.
Pareil impact paraît à ce point déterminant que d’aucuns les considèrent comme une des causes essentielles des conflits qui embrasent la sous-région des Grands Lacs africains. David Sedaris, cité par Eliana Dokterman[4] ne dit pas autre chose lorsqu’il met en garde les professionnels des médias : « If you’re making other people look bad, you have to be up-front about how badyou are » (si vous faites en sorte que les autres soient mal vus, vous devez vous confronter avec la façon dont vous êtes mauvais).
Il existe en occident une tendance lourde à attribuer le mal-être et les retards observés dans le processus du développement et de l’émergence des pays des Grands Lacs africains à l’indolence des peuples qui y vivent ainsi qu’à la mauvaise gouvernance induite par des élites rongées par la corruption et dépourvues de toute vision positive. Mais observée sous un angle ou un autre, force est de constater que la situation de crise dans cette région est une réalité intrinsèquement liée à la persistance des prétentions hégémonistes occidentales en Afrique qui peuvent bien se résumer dans cette réflexion du président rwandais Paul Kagamé lors d’un entretien avec la journaliste Colette Braeckman du quotidien bruxellois Le Soir : parfois je me demande s’il n’a pas été assigné à l’Afrique la vocation de rester un lieu dont d’autres exploitent les richesses, où ils exercent leur compassion, un continent qui ne peut pas faire de choix par lui-même.[5]
L’indépendance des pays d’Afrique subsaharienne en général et de ceux de la sous-région des Grands Lacs en particulier prend un relief singulier dans les colonnes et les ondes des médias globaux qui fonctionnent à plein rendement pour justifier et légitimer les interférences occidentales dans les affaires domestiques de ces pays. Le retentissement qu’y trouve l’avalanche des rapports infamants produits à un rythme effréné par des organisations bien-pensantes comme Human Rights Watch, International Crisis Group ou divers experts onusiens – et la confusion qui y est délibérément entretenue entre délits de droit commun et crimes d’Etat concernant particulièrement la situation dans des pays qui sont les mieux pourvus en potentialités économiques comme la RDC sont révélatrices d’une propension à faire feu de tout bois pour « en finir avec ces empêcheurs de néo-coloniser que sont devenues les institutions publiques »[6] de ces entités.
Cette véritable entreprise de dépossession qui vise à saper la confiance des élites et des peuples africains en leurs propres capacités à prendre en charge les problèmes qui se posent à eux n’est malheureusement pas le fait exclusif des médias occidentaux. Certains professionnels de la presse en Afrique s’y adonnent par conformisme, devenant ainsi des véritables caisses de résonnance de la dépendance mentale de leurs propres communautés. Un article affiché à la Une dans les colonnes du quotidien Le Phare de Kinshasa en août 2018 intitulé « Transports des kits électoraux : 7 avions, 7 hélicos, 130 camions et 195 pick-up pour la CENI : c’est suspect ! » l’illustre.
Pour l’auteur de l’article,la promptitude avec laquelle le gouvernement congolais avait décidé de mobiliser de gros moyens pour rendre la CENI totalement indépendante au plan logistique était « surprenante ». Dans le style de la dérision, l’éditorialiste de cette publication s’étonne de voir l’Etat congolais, « incapable de réhabiliter la flotte de l’ancienne compagnie nationale les Lignes Aériennes Congolaises être subitement en mesure de doter la CENI de sept aéronefs. Pareil persiflage qui détonne dans un monde où même un pays aussi puissant et « ouvert » que les Etats-Unis d’Amérique renforcent sa législation contre toute interférence extérieure dans son processus électoral est manifestement dicté par des réseaux d’influence soucieux, comme on peut l’entrevoir, de placer les élections en République Démocratique du Congo continuer à demeurer sous la coupe de puissances occidentales dont… les Etats-Unis d’Amérique ! Pourtant, 58 ans après la vague des indépendances en 1960, les résultats des interventions de la « communauté internationale » dans le développement des pays d’Afrique subsaharienne laisse à désirer.
Nsal’onanongo en témoigne éloquemment lorsqu’il fait le constat de ce que plus de cinquante ans après le soleil des indépendances et plus de vingt ans après l’ère de la démocratisation, la région des Grands Lacs africains passe ses années les plus sombres : l’instabilité liée aux guerres de tout genre, avec pour conséquence le pillage des ressources naturelles, le génocide rwandais – déclaré – et celui de la RD Congo – non reconnu et non déclaré – dans leurs effets destructeurs ; les rivalités politiques internes (…) ; la contestation des résultats électoraux et la naissance des mouvements rebelles dits de libération, la déstructuration du tissu économique, faisant de cet espace le lieu où la famine a élu domicile.[7]
C’est aux tenants et aboutissants du véritable rôle joué par les faiseurs d’opinion que sont les membres de la presse dans quelques situations de crise dans cette partie de l’Afrique que sont consacrées les réflexions qui font l’objet de cette étude. L’approche dialectique aidera au mieux à dégager la lutte des contraires qui s’y déploie et bien plus, la connexion universelle qui engage différents acteurs.
I. ETENDUE DU CHAMP EPISTEMOLOGIQUE
Par média, on entend « tout procédé de transmission de la pensée, tout support des technologies de l’information et de la communication permettant la diffusion de messages sonores et/ou audiovisuels »[8]. Dans l’acception commune, ce concept fait généralement référence à tout organe d’information ou de communication dont les usagers ou les destinataires appartiennent à un même groupe, qu’il s’agisse d’une collectivité territoriale, d’un groupe social autour d’un intérêt particulier ou d’une caractéristique commune.
Dans un continent caractérisé par la culture de l’oralité, il s’agit essentiellement de « la radio, la télévision (qui) sont des médias de diffusion émettant en direction d’un large public par ondes hertziennes, satellites de télécommunication, câbles coaxiaux et fibres optiques ». Toutefois avec l’alphabétisation de couches de plus en plus larges de la population et la connectivité accélérée aux nouvelles technologies de l’information et de la communication notamment dans les grandes agglomérations, il importe d’aligner aussi la presse écrite, l’ordinateur et Internet parmi les médias dont il est question dans cette étude. Ils sont du reste définis comme «des médias de communication qui permettent l’interactivité et l’échange en temps réel entre l’émetteur et le récepteur ».[9]
Le rôle de telles technostructures dans la construction d’un Etat de droit démocratique et la consolidation des solidarités intracommunautaires et d’une conscience nationale est d’autant plus important qu’elles constituent des instruments privilégiés pour la défense et de la promotion des valeurs éthiques et morales communes et particulièrement de la bonne gouvernance, des notions qui se caractérisent entre autres choses par « la garantie offerte aux citoyens d’accéder facilement à l’information qui reste un des droits fondamentaux de l’homme. C’est une exigence de la démocratie participative dont la transparence est un des éléments fondamentaux ».[10]
C’est la raison pour laquelle l’influence des médias tant sur les perceptions individuelles que sur l’agir communautaire demeure un sujet de préoccupation légitime pour tous ceux qui ont la responsabilité du vivre-ensemble ou qui s’y intéressent pour une raison ou pour une autre, particulièrement dans des pays jeunes comme la plupart des Etats africains de la sous-région des Grands Lacs où l’avènement de ce type de communication de masse est relativement récent.
D’une manière générale, le terme crise renvoie à un dysfonctionnement multiforme et pluridimensionnel d’une entité, qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une personne morale. Il y est fait référence pour rendre compte des périodes d’essoufflement économique ou d’assèchement financier traversé par une communauté donnée. Ainsi en est-il de la grande crise de 1929 qui, partant des Etats-Unis, a bouleversé l’économie mondiale et a abouti à une remise en question fondamentale des théories les plus répandues jusque-là.
Cela a débouché sur la création du Fonds Monétaire International (FMI) qui a permis de révolutionner les thèses keynésiennes et de marquer d’une empreinte indélébile les relations économiques internationales. De telles crises sont devenues récurrentes suivant le rythme des spéculations boursières qui réagissent de manière presque simultanée au moindre événement susceptible de perturber un ordre considéré comme « naturel ».
Les problèmes les plus anodins sont en effet de nature à impacter négativement sur une situation et à plonger une entreprise, un pays, un continent, voire la planète tout entière dans une psychose généralisée avec des réactions en sens divers dues notamment à des anticipations justifiées ou non de conséquences dommageables pour les acteurs impliqués. On en a eu une illustration avec la crise de l’immobilier aux Etats-Unis qui avait failli gâcher le premier mandat de Barack H. Obama lorsque la Federal reserve (banque centrale US) avait dû intervenir en urgence absolue en recourant à la planche à billet, pour sauver non seulement des banques américaines, mais également une économie mondiale essoufflée et angoissée et qui commençait à donner d’inquiétants signes de convulsion.
Dans l’entendement des Africains et au sens de cette étude, le concept de crise décrit une situation de déraillement des interactions politiques entraînant des conséquences d’ordre aussi bien sécuritaire qu’économique et social. On s’accorde à l’assimiler à des situations de conflits armés avec leur cohorte de conséquences humanitaires. D’une part, ces dernières défraient régulièrement la chronique médiatique, et, d’autre part, elles fournissent des agendas et des opportunités de déploiements et d’interventions à un grand nombre d’acteurs extérieurs, qu’ils appartiennent à des agences intergouvernementales spécialisées dans l’assistance humanitaire ou à des organisations missionnaires ou privées (ONG).
I.3. Un espace dénommé « Grands Lacs africains »
Initialement la sous-région des Grands Lacs africains couvrait l’espace géographique comprenant les Etats riverains des Lacs Victoria, Albert, Edouard, Tanganyika et Kivu dans la partie subsaharienne du continent, particulièrement dans l’anfractuosité de la Rift Valley entre les berges respectives des Océans Indien à l’Est et Atlantique à l’Ouest. Par la suite, la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) a été constituée comme une organisation régionale englobant aussi bien les pays riverains de ces espaces lacustres que d’autres qui leur sont mitoyens et qui, de ce fait, n’ont cessé de subir de manière récurrente les conséquences des agitations observées dans lesdits pays.
Cette organisation comprend actuellement douze Etats membres : l’Angola, le Burundi, la République Centrafricaine, la République du Congo, la République Démocratique du Congo, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, le Soudan, la Tanzanie, la Zambie et le Soudan du Sud. Elle a été créée pour servir de cadre pour l’élaboration et l’évaluation des solutions aux nombreux conflits politiques qui ont marqué la région.
Le conflit le plus marquant à cet égard reste sans conteste le génocide rwandais de 1994, qui occasionna plus de 800.000 victimes et devint véritablement l’œil d’un cyclone qui entraîna la spirale de l’instabilité de toute la sous-région des Grands Lacs et particulièrement la République Démocratique du Congo. La création de la CIRGL résulte de la reconnaissance de la dimension régionale de suites de ce conflit et de la nécessité d’un effort concerté en vue de promouvoir la paix et le développement durable dans cette sous-région.
Les programmes principaux de la CIRGL sont : la paix et la sécurité, la démocratie et la bonne gouvernance, le développement économique et l’intégration régionale ainsi que les questions humanitaires et sociales, toutes matières considérées comme autant de leviers indispensables et contournables pour rétablir et maintenir la paix dans cet espace perturbé. En outre, dans le cadre de son programme sur les questions transversales, la CIRGL aborde les questions liées au genre, à l’environnement, aux droits de l’homme, ainsi qu’aux pandémies comme le SIDA. Le processus de la CIRGL est basé sur deux principes, à savoir : l’appropriation du processus de pacification et de stabilisation par les Etats de la sous-région des Grands Lacs et le partenariat avec les parties prenantes, en particulier le Groupe des Amis et des Envoyés Spéciaux qui fournissent un soutien financier, diplomatique, technique et politique.
Yves Lacoste a placé à bon escient le Rwanda et le Burundi au cœur du concept des Grands Lacs africains.[11] Il les présente comme deux anciens petits royaumes d’Afrique de l’Est qui doivent l’importance de leur peuplement au fait qu’ils ont autrefois échappé aux raids des marchands d’esclaves et à la fertilité de bons sols volcaniques. (Passés) sous l’autorité allemande à la fin du XIXème siècle puis, après la première guerre mondiale, sous celle des Belges, qui dominaient le Congo voisin, (…) ces deux royaumes présentaient un fort contraste entre une minorité dominante, les Tutsi (plutôt éleveurs de bovins), venus de la vallée du Nil, et une majorité de paysans Hutu (environ 85% de la population). Les Européens jugèrent plus commode de s’appuyer sur l’autorité des Tutsi dont ils favorisèrent l’éducation dans les années qui suivirent la seconde guerre mondiale. Ainsi, certains Tutsi qui allèrent en Belgique faire des études supérieures en revinrent avec des idées d’indépendance. En réaction, les colonisateurs jouèrent la carte des Hutus restés sous l’influence des missionnaires catholiques. Les années qui précédèrent ou suivirent l’indépendance connurent une grande agitation politique (…) Au Rwanda comme au Burundi, les Hutu proclamèrent qu’il fallait renverser la « société féodale» dominée par les Tutsi et, de 1959 à l’indépendance en 1962, les Tutsi du Rwanda furent victimes d’exactions de la révolution Hutu ; nombre d’entre eux durent s’enfuir au Congo ex Belge, au Burundi ou en Ouganda, pays qui venait lui aussi d’accéder à l’indépendance. Mais cette colonie britannique qui était jusqu’alors ‘modèle’ se trouva entraînée à son tour dans de très violentes luttes internes qui durèrent plus de vingt ans. Un mouvement de guérilla dirigé par Yoweri Museveni finit par l’emporter en 1986, notamment avec l’aide des réfugiés Tutsi du Rwanda, dont les fils acquirent une grande efficacité guerrière.
Ces réfugiés-combattants Tutsi ont constitué en 1990 une structure de combat, l’Armée patriotique rwandaise (APR) afin de rentrer au Rwanda pour y reprendre le pouvoir après plusieurs essais ratés. Au Burundi, en octobre 1993, un président hutu venait d’être assassiné au cours d’un putsch militaire tutsi, ce qui avait entraîné également dans ce pays de nombreux massacres entre les deux communautés.
L’attentat qui coûta la vie aux présidents rwandais Habyarimana et burundais Ntaryamira le 6 avril 1994 au retour de négociations avec l’opposition armée à Arusha (Tanzanie) déclencha le génocide du Rwanda alors que les casques bleus et les forces d’interposition occidentales quittaient le pays.
L’APR puissamment soutenu par l’Ouganda prit Kigali et mit en déroute les Forces Armées du Rwanda (FAR) dominé par les Hutu. Le périmètre de sécurité organisé dans le sud-ouest du pays par l’Opération Turquoise initiée par la France avec l’autorisation de l’ONU provoqua l’entrée massive en RDC de millions de réfugiés Hutus, parmi lesquels des militaires des FAR et des miliciens génocidaires Interahamwes fuyant les exactions revanchardes du nouveau pouvoir Tutsi. Goma et Bukavu, les deux villes congolaises de l’Est sur les berges du Lac Kivu furent littéralement étouffées par cet afflux massif et déstabilisées à cause des projets négatifs des extrémistes du régime déchu de Kigali et de la réponse essentiellement militaire qu’y apportait le régime rwandais post-génocide.
L’agitation des survivants du régime Habyarimana constituait en effet un véritable casus belli pour le nouveau pouvoir rwandais qui reprochait au régime du président Mobutu Sese Seko de les soutenir, ce qui fit entrer le Zaïre (Congo-Kinshasa) dans une véritable guerre avec l’APR qui provoqua une ruée vers le vaste territoire de ce dernier pays des acteurs de la « première guerre mondiale africaine »dont tout indique que la sous-région n’est pas encore tout à fait sorti près de 30 ans après. L’incidence des médias dans cette chienlit est évidente comme les pages qui suivent vont l’analyser.
II. CRISES DANS LA SOUS-REGION DES GRANDS LACS ET IMPACT DES MEDIAS
Dans une recension de l’opuscule « Dire du mal » de Claude Sérillon, Fawzia Zouari[12] résume assez correctement le sujet qui nous préoccupe dans ce chapitre en citant l’auteur, ancien présentateur des journaux télévisés TF1 et France 2 à Paris pour qui la médisance, la méchanceté, la raillerie (sont) devenues dans le milieu des médias, la seule façon de s’exprimer. Critiquer, dire du mal serait aujourd’hui, dans les salles de rédaction, plus qu’un style : un système, un art de vivre. Cette tendance quasi-obsessionnelle à pourfendre « l’autre » a atteint des dimensions caricaturales dans le regard et les analyses des médias aussi bien nationaux qu’étrangers sur quelques événements qui ont émaillé la vie de la sous-région des Grands Lacs africains. Il s’agit respectivement du génocide rwandais de 1994, de la crise post-électorale au Burundi à partir de 2015 et de l’abondante chronique consacrée au troisième cycle électoral de la République Démocratique du Congo prévu pour fin 2016.
II. 1. Un cas d’école : la Radio Télévision des Mille collines de Kigali au Rwanda
Le Rwanda est peuplé par trois groupes ethniques, les Hutu, les Tutsi et les Twa. Entre les mois d’avril et de juillet 1994, le pays a été déchiré par un génocide sanglant, au cours duquel des bandes d’extrémistes Hutus déchaînés ont pris pour cibles principalement les populations Tutsis ainsi que des leaders Hutus modérés. Débordée par ce déferlement inédit des violences, la Mission des Nations Unies au Rwanda (MINUAR) s’était avouée impuissante face à cette explosion de violence. Les génocidaires se recrutaient dans la quasi-totalité des couches sociales. S’estimant dans l’incapacité d’y faire face, les casques bleus avaient décidé de quitter le pays, abandonnant les victimes à leur sort.
Parmi les causes pouvant entrer en ligne de compte dans cette tragédie, il est devenu un lieu commun de citer l’action d’une entreprise de média audiovisuel, la Radio Télévision des Mille Collines (RTLM, SA) créée en 1993 dont certains responsables et animateurs comme le Belgo-Italien Georges Henri Yvon Joseph Ruggiu et la Rwandaise Valérie Bemeriki ont été jugés et condamnés respectivement par la justice internationale et rwandaise pour diffusion de l’idéologie et des objectifs des extrémistes Hutus au Rwanda jusqu’à fin juillet 1994. Les prestations de ce média ont, selon les conclusions des juges, constitué autant d’incitations au meurtre et d’atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale des Tutsis ou à la perpétration d’actes de persécution envers les Tutsis, ainsi que certains Hutus et citoyens belges.
Le 23 juillet 1997, Ruggiu a été arrêté à Mombasa (Kenya), à la demande du Procureur près le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Transféré à Arusha (Tanzanie), il y sera inculpé, jugé et déclaré coupable d’incitation, directe et publique de commettre le génocide (art. 2 par. 3 let. c du statut TPIR) et de crime contre l’humanité (persécution) (art. 3 let. h du statut TPIR). Ayant plaidé coupable pour les deux chefs d’accusation, il sera condamné à 12 ans d’emprisonnement le 1erjuin 2000, alors que le Procureur en avait requis 20 en retenant « le rôle crucial de l’accusé, en tant qu’animateur de la RTLM dans le développement des massacres au Rwanda » comme circonstances aggravantes.
Quant à Valérie Bemeriki, une ancienne journaliste vedette de cette radio, qui appelait « les vrais Rwandais » (les Hutu) à éradiquer « les cancrelats » (les Tutsi) pendant le génocide, elle a été condamnée pour ces campagnes de haine interethnique récurrentes à une peine de réclusion à perpétuité par une Cour rwandaise. Elle a témoigné selon le quotidien français Le Monde[13], contre Pascal Simbikangwa, un ancien capitaine de la garde présidentielle rwandaise, qu’elle a décrit comme l’un des planificateurs du génocide. « Il (Simbikangwa) venait tous les deux jours ou presque à la radio pour s’entretenir avec le directeur de la station, dont il était actionnaire et membre fondateur », a-t-elle soutenu. « Le 7 avril au matin, après leur discussion, le directeur nous a dit que l’attentat contre l’avion du président Habyarimana avait été fait par le FPR [la rébellion tutsi de l’époque], l’opposant Faustin Twagiramungu et les Tutsi de l’intérieur », a témoigné également l’ancienne journaliste.
André Guichaoua, l’auteur de Rwanda, de la guerre au génocide cité par Bensimon explique que « la RTLM avait tout changé dans le processus de perpétration du génocide ». Un autre analyste de ces événements, Stéphane Audoin-Rouzeau, chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales[14], estime que cette entreprise audiovisuelle avait joué « un rôle capital dans l’encadrement idéologique ». Selon Bemeriki, cette radio, lancée en juillet 1993 pour concurrencer Radio Rwanda, la station nationale dont les programmes ne faisaient pas la part assez belle aux partis proches de la présidence, et Radio Muhabura, des rebelles du FPR, avait des programmes novateurs, mais, dès sa création, son objectif était de « combattre les Tutsi qui voulaient prendre le pouvoir ».
La condamnation à des peines aussi lourdes de Ruggiu, Bemeriki et de leurs comparses est basée sur l’intime conviction des juges tant internationaux que rwandais que l’action de la RTLM fut déterminante dans la généralisation des violences massives extrêmes et humainement inacceptables perpétrées par le tout-venant au Rwanda. Pour des paysans et des jeunes désœuvrés peu préparés à tamiser intellectuellement des informations diffusées par les ondes, il était difficile de démêler le vrai du faux. « Dès lors qu’on disait à la radio que si nous ne nous débarrassions pas des Tutsi, c’est eux qui nous tueraient, j’étais réellement convaincu que l’élimination de ces gens était un acte de légitime défense pour moi. C’était eux ou nous », avait avoué un agriculteur de la région de Gisenyi libéré en 1999 qui venait de purger trois ans de prison pour complicité de participation au génocide.[15]
Mais si au Rwanda, RTLM a contribué à exacerber les tensions interethniques qui débouchèrent sur les pires atrocités que l’on puisse imaginer, toute autre a été l’action des médias au Burundi voisin.
II. 2. Burundi : Le paradoxe des prophéties anticipatives négatives
Un paradoxe qui est loin d’être anodin s’observe dans la couverture par les médias dits globaux et leurs relais en Afrique de la situation au Burundi, un Etat dont l’histoire est presque similaire à celle du Rwanda voisin.
Après une série d’accrochages intercommunautaires particulièrement en 1993, la situation politique s’était particulièrement détériorée dans ce pays à l’approche des élections générales de 2015, lorsque le président Pierre Nkurunzinza avait annoncé son intention de briguer à nouveau la magistrature suprême. Sur fond de polémiques autour de la constitutionnalité de cette décision[16], plusieurs meurtres, visant des personnalités politiques ou militaires, de l’opposition ou du camp présidentiel ont eu lieu. Point d’orgue de ces troubles, le 11 septembre, le général Prime Niyomgabo chef d’état-major de l’armée fut victime d’un attentat qui provoqua sept morts dont quatre militaires et une policière.
En décembre 2015, une rébellion armée, les Forces républicaines du Burundi (Forebu) était initiée par le lieutenant-colonel Edouard Nshimirimana avec l’objectif déclaré de « veiller à l’accord d’Arusha, renverser Pierre Nkurunziza et restaurer la démocratie ». Le général Godefroid Niyombare en prit la direction. Le 25 avril 2016, le général Kararuza, officier tutsi et conseiller du Premier vice-président de la République, était assassiné avec sa femme et sa fille.
Des assassinats ont également ciblé des opposants vivant aussi bien à l’intérieur que réfugiés dans des pays voisins, notamment le Rwanda et la République Démocratique du Congo[17]alors que des manifestations organisées par l’opposition étaient sévèrement réprimées. En décembre 2015, une résolution du Conseil de sécurité a institué une commission d’enquête de l’ONU avant de demander l’ouverture d’un dossier sur le Burundi à la Cour pénale internationale en avril 2016, ce qui poussera le gouvernement burundais à annoncer le retrait du pays du statut de Rome.
Le 12mai2017, un avant-projet de révision de la constitution du Burundi avait été annoncé. Le projet final, présenté le 25octobre2017, prévoyait la création d’un poste de Premier ministre, le passage d’un quinquennat à un septennat, la limitation de mandat sera seulement consécutive et le passage du seuil d’adoption des lois des deux tiers à la majorité absolue, des dispositions qui constituaient en fait une sortie de l’accord d’Arusha. En janvier 2018, lors de la campagne électorale pour le referendum le gouvernement burundais a fait arrêter des opposants. A partir du 26 avril, la candidature du président sortant a provoqué d’importantes manifestations dont la répression a entraîné la fuite vers l’étranger (Rwanda, RDC) de près de 25 000 Burundais.
Le paradoxe de la gestion par la presse internationale de cette crise burundaise peut être illustré à travers le parcours personnel du journaliste Esdras Ndikumana, correspondant de Radio France International (RFI) et de l’Agence France Presse (AFP) à Bujumbura. Dans le contexte rwandais, les prestations passionnées de Ndikumana en faveur des groupes opposés au régime au pouvoir au Burundi lui auraient certainement valu une accusation de menées subversives et une lourde peine pour incitation à la haine à l’instar du sort infligé aux journalistes Ruggiu ou Bemeriki sans que les chroniqueurs de la presse y trouvent grand-chose à redire. Il put s’exiler au Kenya, puis exfiltré vers la France où il eut droit à tous les honneurs.
Son collègue Pius Utomi Ekpei de l’AFP a noté ce qui suit à son sujet : c’est avec joie et fierté que la presse francophone du continent rapporte la nouvelle : Esdras Ndikumana, le correspondant au Burundi de RFI et de l’AFP, qui vit désormais en exil au Kenya, a, en effet, reçu le prestigieux prix de la presse diplomatique francophone. Il devient ainsi le premier étranger à être honoré par cette distinction qui reconnait sa compétence et son courage, selon les propres mots de Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française.[18]
Réputé très proche des thèses de la presse « globale », l’Observateur Paalga du Burkina Faso, dans lequel ces propos avaient été repris a eu également des termes très élogieux pour commenter l’événement : C’est une récompense certes médiatique, mais ô combien politique !Au regard des circonstances dans lesquelles elle intervient. En effet, le Burundi est englué depuis de longs mois dans une crise politique née de l’obstination d’un seul homme, le président Pierre Nkurunziza, qui, contre vents et marées, mais surtout en dépit de la constitution et de l’accord d’Arusha, a brigué et obtenu un troisième mandat à la tête de son pays. C’est d’ailleurs dans ce contexte que celui dont des millions d’auditeurs de la Radio mondiale connaissent si bien la voix a été arrêté le 2 août dernier alors qu’il était en train de couvrir l’assassinat du général Adolphe Nshimirimana, avec toute l’impartialité et le ton mesuré que ses compatriotes lui ont toujours reconnu. Séquestré et passé à tabac par des éléments du Service national du renseignement, le journaliste a frôlé le pire. Et jusque-là, malgré les plaintes répétées de ses employeurs et les promesses de Bujumbura, ses tortionnaires courent toujours. Il faut croire qu’au-delà du lauréat de ce lundi, c’est un clin d’œil qui est fait à la presse burundaise libre qui, il faut le dire, a payé et continue de payer un lourd tribut à cette crise. Intimidations, pressions de toutes sortes, violences et même meurtres sont devenus le lot quotidien des journalistes dont beaucoup, à l’instar du correspondant de RFI et de l’AFP, ont dû fuir leur pays pour tout simplement sauver leur peau.
Plusieurs dizaines de milliers de Burundais fuyaient leur pays (influencés, selon les autorités de Bujumbura, par la campagne d’infamie contre le régime du président Nkurunziza mettant en cause notamment la jeunesse Imbonerakure du parti présidentiel). Mais les dithyrambes en faveur de Ndikumana que la justice burundaise voulait entendre, répétées presque à l’unisson par des entreprises médiatiques francophiles comme Aujourd’hui, d’Ouagadougou[19], Guinée Conakry Info et Le Djely.com de Conakry (Guinée) donnent une impression de « deux poids, deux mesures » car elles tranchent de manière flagrante avec la complaisance affichée par les médias globaux dont ces groupes servent de relais en Afrique francophone à l’égard du Rwanda.
Pourtant, en matière de violation d’accord de paix (signé aussi à Arusha) et de liberté de presse, le Rwanda qui est porté au pinacle par d’aucuns[20] n’est pas mieux loti que son voisin. Il est en effet notoire que le régime post-génocide en place dans ce pays y a instauré une gouvernance autoritaire et refusé toute cohabitation avec ses adversaires sous le prétexte de ne pas donner une prime aux génocidaires.
Pire, la cohabitation au sommet de l’Etat entre Tutsi et Hutu modérés qui s’était observée lors des premières années de ce régime a été brutalement remise en cause par le limogeage suivi de l’arrestation du président de la République, Pasteur Bizimungu, N°2 du FPR, ainsi que la lourde condamnation pour crime de « révisionnisme » de la jeune opposante Hutu Victoire Ingabire, exilée aux Pays-Bas qui était revenue à Kigali pour poser sa candidature à l’élection présidentielle. On assistera ensuite à une radicalisation de la répression politique qui visera même des leaders Tutsi du FPR qui se montraient peu ou prou critiques du leadership du président Kagamé comme le colonel Patrick Karegeya, tué à Johannesburg et le Général Kayumba Nyamwasa, réfugié en Afrique du Sud. La presse au Rwanda est en outre, à ce jour, l’une des plus « encadrée » du continent.
Bujumbura a protesté à maintes reprises contre le recrutement dans les camps de réfugiés burundais au Rwanda d’éléments ayant par la suite constitué le fer de lance d’une rébellion armée contre lui sans que les faits ainsi dénoncés ne reçoivent une couverture significative des médias globaux, lorsqu’ils n’étaient pas tout simplement tournés en dérision alors que les dénonciations peu avérées de collusions entre les autorités politiques et militaires congolaises avec des réfugiés rwandais génocidaires (Interahamwes) avaient pendant un certain temps mobilisé toute leur attention.
Le paradoxe décrit ci-dessus s’observe également dans le rendu et les commentaires par les médias occidentaux de l’actualité sur la République Démocratique du Congo. L’impression dominante est qu’ils se limitent à relayer sans esprit critique la panoplie des rapports et enquêtes exclusivement à charge contre les institutions de la RDC, lesquels finissent par semer le doute sur leurs capacités à assumer de manière autonome les responsabilités régaliennes dont elles ont la charge depuis 1960.
Dans un éditorial à la Une de l’hebdomadaire franco-africain Jeune Afrique, François Soudan a défini le « Congo Bashing » comme la propension dans une certaine presse à la critique permanente systématique de tout ce qui se fait en RDC : Le problème est que tout élément à décharge, ou tout simplement explicatif, de la situation actuelle est à priori écarté. La République Démocratique du Congo a ceci d’irremplaçable pour les médias et les ONG du Nord qu’elle offre une source quasi inépuisable de clichés réducteurs, motifs d’indignation, reportages chocs, rapports alarmistes et autres photos coup-de-poing sur la misère du monde. Pas une semaine sans son lot d’exactions au Sud-Kivu, de viols dans le Haut-Uélé, de bavures des services spéciaux à Kinshasa, d’affaires de corruption au sein de la magistrature… Il n’y a qu’à se baisser pour ramasser une bonne histoire qui saisira aux tripes les âmes sensibles. Raconter la souffrance quotidienne des Congolais peut même rapporter gros : un prix Pulitzer ou Albert-Londres, par exemple.[21]
Cette tendance compulsive à produire et diffuser aux quatre vents le tableau le plus négatif possible de la République Démocratique du Congo poursuit manifestement le but de justifier l’entreprise impérialiste de dépossession des élites de ce véritable « coffre-fort naturel » au profit de quelques groupes d’intérêts extérieurs que l’on n’a cessé d’observer depuis l’aube de l’indépendance. Les enquêtes et rapports croisés, publiés avec une synchronie sans doute suspecte, lèvent un coin du voile sur les objectifs poursuivis par la kyrielle de pseudos spécialistes et experts individuels ou collectifs qui ont fait de la désacralisation de l’image de ce pays un véritable fonds de commerce. Le caractère systémique de cette tendance semble tellement évidente qu’on serait tenté de croire que l’existence, la prospérité et la carrière de ces « africanistes » dépendent de leurs capacités à créer ou reproduire des informations toxiques et des rumeurs alarmantes destinées à nourrir la stigmatisation et entretenir des légendes d’infamie du genre de celles qui ont légitimé en leurs temps la traite négrière et les entreprises coloniales.
On peut, à titre d’illustration, rappeler la gestion par Radio France Internationale (RFI) et l’agence britannique Reuters des violences qui ont déstabilisé à partir de 2016 quelques provinces de l’espace kasaien et ont défrayé la chronique à la suite du meurtre de deux experts de l’ONU, l’Américain Michael Sharp et la Suédoise Zaïda Catalan, assassinés le 12 mars 2017 au Kasaï Central. RFI et Reuters ont en effet relayé abondamment des rapports de la Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH) dont le responsable du desk Afrique était Paul Nsapu, un opposant congolais connu pour sa hargne contre les autorités en place à Kinshasa. Les enquêteurs de cette ONG avaient établi ce rapport accablant sur la foi de témoignages de Congolais parqués dans des camps de réfugiés en Angola.
Il est pourtant de notoriété publique qu’en l’espèce, les demandeurs d’asile ne sont pas une source crédible à cause de leur propension à vouloir justifier leur séjour ou la possibilité de leur admission au statut de réfugiés politiques par des récits d’atrocités commises contre eux et en noircissant délibérément le tableau sur la situation des droits de l’homme dans leur pays d’origine. Ce rapport accusait le gouvernement congolais d’avoir eu recours à des milices privées, dont l’une dénommée “bana mura”, pour s’en prendre exclusivement aux populations “Luba”. Le gouvernement s’en était offusqué dans une communication en réaction à ces accusations :
C’est une tentative grossière d’opposer les populations congolaises entre elles en fabriquant dans un crime d’Etat à défaut d’un génocide planifié dont devraient tôt ou tard répondre les dirigeants en place (…) Qu’une force négative comme il en existe malheureusement quelques dizaines à travers l’arrière-pays s’affuble d’un pseudonyme « bana mura » ou que quelques brebis galeuses au sein des forces de l’ordre aient commis des crimes, on ne voit pas bien en quoi le gouvernement devrait en être tenu pour coupable surtout lorsqu’on sait que des enquêtes et des procès en bonne et due forme ont été diligentées et organisés à l’encontre de certains militaires de rang tout comme des officiers supérieurs et subalternes accusés de crimes.[22]
RFI et Reuters ont par ailleurs été mis à contribution pour donner de la consistance à une version assez invraisemblable produite par Human Rights Watch (HRW) selon laquelle le gouvernement congolais aurait recruté 200 supplétifs parmi les rebelles du mouvement M23 démantelé naguère par les FARDC et réfugiés en Ouganda pour prêter main forte aux forces de l’ordre et de sécurité congolaises afin de contenir et mater des manifestations politiques à Kinshasa, Lubumbashi, Kisangani et Goma. Commentant ces accusations, les autorités congolaises ont également questionné la méthodologie de la FIDH consistant à prendre appui sur les seuls récits et témoignages de réfugiés et demandeurs d’asile congolais en Angola pour dresser un rapport les incriminant dans ces atrocités sans leur donner la possibilité de faire connaître leur version des événements.
Du reste, au moment de la publication de ce rapport, des enquêtes judiciaires et internationales (Haut-commissariat des Nations-Unies aux Droits de l’Homme) étaient en train d’être menées sans entraves au Kasaï où les FARDC étaient enfin parvenues à réduire l’activisme sanglant des groupes insurrectionnels.
De telles allégations étaient d’autant plus paradoxales qu’elles intervenaient au moment même où Global Fire Power, un think tank spécialisé en matière de défense et de sécurité, venait de rendre public un palmarès annuel des pays selon l’indice de puissance des Etats et sur la base de critères la puissance de feu, la force de projection, les équipements et le niveau d’organisation. Dans ce palmarès portant sur 33 pays africains passés au crible, l’armée gouvernementale congolaise (FARDC) était classée 10ème. Sur le plan mondial, elle était positionnée au 76ème rang parmi 133 pays étudiés.
Difficile dès lors d’imaginer qu’un gouvernement disposant d’une telle institution militaire (140.000 hommes) en plus de 100.000 éléments des forces de la police nationale puisse éprouver le besoin de recruter 200 bras-cassés errant en Ouganda après avoir été militairement défaits par les mêmes FARDC pour rétablir l’ordre public dans les grandes villes du pays.
On se trouve face à une tentative obsessionnelle de renvoyer coûte que coûte, et de manière systématique, la RD Congo dans une situation antérieure à la décolonisation de 1960. Une manœuvre qui n’est pas sans rappeler certaines pratiques du début de la colonisation du Congo par la Belgique.
En effet, au cours de l’émission « Mémoire d’un continent » sur Radio France internationale de dimanche 15 juillet 2018, Elikya M’Bokolo a évoqué le cas d’un certain Emile Storms, officier belge proche du roi Léopold II, qui, en 1894, faisait état de sa volonté de se débarrasser de Lusika, un chef traditionnel congolais réfractaire aux discriminations dont les populations autochtones étaient victimes. Pour cet agent de la première dispensation coloniale belge au Congo, « le but était de faire comprendre à tous que le rapport des forces était inéluctablement en faveur des blancs».[23] Et de fait, le chef Lusika sera tué quelques temps après lors d’une rixe avec une tribu voisine. Tout laisse croire que les assassins de ce chef résistant à l’occupation coloniale avaient été circonvenus par Storms qui s’était vu du reste offrir la tête de l’indocile en guise de trophée dont il fit don par la suite à un musée belge dans lequel il se trouverait encore.
Macabre ironie du sort, 67 ans plus tard, au plus fort de la crise postindépendance, cette pratique est revenue à la surface lorsque les assassins (belges) de Patrice-Emery Lumumba, leader indépendantiste et premier ministre du Congo indépendant, après avoir dilué son corps dans de l’acide sulfurique ont ramené en Belgique une de ses dents que l’un d’eux brandira cyniquement comme un trophée sur une chaîne de télévision bruxelloise sans provoquer la moindre condamnation des chroniqueurs des médias globaux d’habitude très sensibles à la ‘‘cruauté sauvage’’ des dirigeants africains.
On peut y voir une reproduction symbolique de la « déshuma-nisation » des Congolais dans le but de les émasculer politiquement et rationnaliser le contrôle par l’ancienne colonie de cet immense pays qui semblent être des objectifs stratégiques dans l’ancienne métropole pour certains détenteurs du pouvoir définitoire des relations avec le Congo depuis bien avant l’indépendance.[24]
II.4. Regard des médias occidentaux sur les affaires congolaises
On observe chez certains membres des élites congolaises une tendance à banaliser, voire rationaliser les lourdes interférences des milieux d’influence belges, qu’elles soient institutionnelles ou par médias interposés, dans les affaires intérieures congolaises. Celles-ci sont dénoncées par Santimi[25] qui, s’agissant de la RDC, les a observé dans le chef des membres des lobbies industriels, des think tanks, des dirigeants des médias et des leaders d’opinion.
Il a cité notamment Samuel Turpin[26], journaliste au mensuel New Africa qui, ayant posé à François Grignon, directeur du Programme Afrique de International crisis group la question de savoir pourquoi les Congolais croyaient tellement à l’existence d’un complot international contre leur pays pour s’approprier les richesses de leur territoire, avait reçu la réponse suivante : « c’est une obsession congolaise qui date de l’assassinat de Patrice Lumumba et de la sécession katangaise (…). Cette obsession, cette théorie permanente du complot anime les réflexions congolaises pour expliquer la déroute de leur pays ».
Santimi s’inscrit en faux contre un tel argument, estimant que se réfugier derrière l’argument selon lequel le complot contre le Congo ne serait qu’une obsession, donc une illusion, ainsi que le prétend Grignon équivaudrait à affirmer que Lumumba serait mort (…) par accident et sans qu’il y ait eu une quelconque intention de lui donner la mort (…), que la sécession katangaise avait été proclamée pour se faire de la publicité, malgré la mort de milliers de Congolais innocents (….) ou que Laurent-Désiré Kabila se serait suicidé et non assassiné.[27]
Dans le même ordre d’idée, Ludo De Witte est revenu avec force détails sur les interférences de la presse belge dans la crise congolaise de l’immédiat après indépendance notamment lorsqu’il détricote l’opération Omegang (assaut aéroportée de l’armée belge sur Stanleyville aujourd’hui Kisangani contre les forces lumumbistes en 1964 : « La machine de guerre ne pouvait désormais plus être arrêtée – en supposant qu’on l’eût voulu. Fin octobre, à Léopoldville, l’Ambassadeur Rothschild, l’homme de confiance de Spaak, avait constaté que le régime (Mobutu-Kasavubu-Tshombe) ne voulait en aucun cas entendre parler de négociations avec les insurgés. Même les tentatives de Washington et de Bruxelles en vue d’assouplir des hommes comme Adoula ou Bomboko n’avaient abouti à rien (…) Trop de pression pouvait irriter Tshombe, ce qui aurait pu l’inciter à encourager Mobutu à intensifier la campagne de presse dans laquelle les ambassades des Etats-Unis et de la Belgique étaient accusées de reporter la reconquête de Stanleyville ».[28]
Plus récemment, dans un article consacré à des pseudos infiltrations armées au Rwanda à partir du Burundi et de la RDC, Colette Braeckman du quotidien bruxellois Le Soir ne cache pas son objectif d’alimenter le prétexte d’une nouvelle guerre régionale entre pays des Grands Lacs en brodant laborieusement sur des informations et des rumeurs relatives à des infiltrations armées, voire, à une rébellion armée contre le pouvoir en place à Kigali, qui progresserait vers la capitale du Rwanda des informations diffusées à une cadence virale dans les réseaux sociaux particulièrement.
De fait, l’opinion habituée aux « fake news » et aux exagérations des informations diffusées sur Internet s’était jusque-là gardée de prêter foi aux récits alarmants concernant cette prétendue agression contre le Rwanda, jusqu’à ce que Braeckman, auréolée de sa réputation de spécialiste des affaires congolaises les confirme avec des détails plus ou moins vraisemblables. Elle est allée jusqu’à prédire une nouvelle guerre régionale justifiée par le fait que les assaillants se recruteraient au Burundi et en RD Congo voisins, « parmi d’anciens génocidaires, des Maï-Maï et d’anciens rebelles ougandais ».[29]
C’était une façon de donner une nouvelle substance au fameux prétexte sécuritaire qui a « légitimé » toutes les agressions, incursions et « promenades militaires » du Rwanda en RD Congo où elles sont considérés en RDC comme des guerres de prédation des ressources naturelles avec la complicité de puissants intérêts financiers occidentaux depuis la fin de la décennie 90. Elle révèle aussi qu’un groupe de 60 à 120 combattants avaient tué un chef de village, pillé des magasins et recruté de force des porteurs de butin du côté de Kibeho, dans la région de Butare au Rwanda. Des hommes, bien organisés et méthodiques, qui, selon son récit, auraient réussi à s’infiltrer à l’insu des troupes chargées de protéger la frontière entre le Rwanda et le Burundi.L’article indique que ces assaillants appartenaient au Mouvement Rwandais pour le Changement Démocratique (MRCD) dont les FNL (Forces Nationales de Libération) burundais seraient le bras armé.
La journaliste belge a attribué à « des sources locales » non autrement identifiées l’information selon laquelle le MRCD est né de la convergence de plusieurs organisations opposées au régime rwandais. La première, est le «RNC core », une dissidence du Congrès national rwandais fondé par le général Kayumba Nyamwasa, exilé en Afrique du Sud et ancien compagnon de route de Kagamé. Kayumba, qui a survécu à plusieurs tentatives d’assassinat, tente depuis des années de nouer des alliances dans la région mais il se serait méfié de la coalition actuelle, où se retrouvent aussi des Hutus réfugiés au Congo depuis 1994, dont le colonel Hamada, un ancien FDLR, (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) un mouvement armé composé d’anciens «génocidaires » et le PDR-Ihumure de Paul Rusesabagina. Ce dernier, ancien gérant de l’hôtel des Mille Collines, a été rendu célèbre par le film montrant comment il avait abrité des Tutsis dans son hôtel. Longtemps réfugié en Belgique, M. Rusesabagina y a fait fortune en fondant une société de taxis.[30]
Ces révélations ne paraissent pas crédibles à première vue. A Bujumbura, plusieurs sources ont démenti l’existence de cette prétendue rébellion rwandaise au Burundi qui ne présente aucun intérêt durable pour le gouvernement de Pierre Nkuruzinza, étant donné le fait que des belliqueux au sein du régime de Kigali pourraient être tentés de justifier une incursion de leurs forces armées au Burundi sous prétexte de droit de poursuite d’une pseudo-rébellion opérant à partir du territoire de ce pays.
En outre, le Colonel Hamada, présenté comme un ancien génocidaire placé aux commandes des FNL ne serait autre que l’époux d’une dame installée à Kampala où le couple vit aux frais des services de renseignements militaires rwandais (DMI), et que les FDLR, vrais génocidaires ou descendants de génocidaires, accusent d’avoir littéralement désossé leur mouvement. Il est possible qu’il ait été « retourné » par les services de sécurité de Kigali. Par ailleurs, le général Kayumba Nyamwasa, un Tutsi, a déclaré avoir formellement refusé tout contact avec cette pseudo-rébellion, arguant de la présence au sein du groupe d’anciens éléments des FDLR.
Braeckman assure également que les assaillants ont bénéficié du soutien des Maï-Maï Yakutumba en RD Congo et des miliciens burundais Imbonerakure, des Hutu, mais aussi des Banyamulenge (Tutsi congolais) des hauts plateaux ainsi que de la milice Gumino, des Tutsi de la Ruzizi qui seraient commandés par le Général Pacifique Masunzu, un officier général tutsi des FARDC.
Pourtant, le général Masunzu avait, depuis plusieurs années, quitté la région des Kivu pour prendre le commandement de la base militaire de Kamina dans l’actuelle province du Haut Lomami (ex-Katanga) d’où il a été appelé à Kinshasa comme commandant second de l’Inspection générale des armées. La description des principaux protagonistes de cette prétendue agression contre le Rwanda soulève bien de questions. « Il y a des mois que ces hommes s’entraînent au vu et au su de tous à Bijombo, au-dessus de la ville congolaise d’Uvira et ils auraient été rejoints par plusieurs centaines d’anciens militaires rwandais. Mécontents d’avoir dû quitter l’armée pour se retrouver dans des sociétés de gardiennage, ces derniers auraient été recrutés depuis l’Ouganda et rejoints par des jeunes du Nord Kivu encouragés par un ancien gouverneur, Eugène Serufuli » lit-on dans l’article de Braeckman qui a oublié de signaler que Serufuli était, depuis plus de trois ans, membre du gouvernement de la RDC.
Autre contradiction dans les faits rapportés par Colette Braeckman au sujet au sujet de cette rébellion anti-rwandaise appuyée par le Congo-Kinshasa à partir du Burundi : les Forces Armées de la RDC venaient alors de lancer une offensive dans la région d’Uvira contre les miliciens Maï-MaïYakutumba qui, dispersés de leurs places fortes dans certaines localités, s’étaient transformés, pour survivre, en coupeurs de routes. Que leurs bivouacs et camps d’entraînement soient signalés sur les hauts plateaux des environs d’Uvira d’où ils étaient déjà descendus à maintes reprises pour attaquer diverses agglomérations congolaises aux abords du Lac Tanganyika ne peut être considéré comme une preuve sérieuse de l’implication dans leurs éventuelles incursions au Rwanda des autorités de la République Démocratique du Congo dont les forces loyales (FARDC) n’ont eu de cesse de les combattre farouchement depuis quelques mois.
Quant à Eugène Serufuli, un leader Hutu du Nord Kivu, il a véhémentement dénoncé les allégations tendant à l’impliquer dans ces escarmouches.
Dans une réaction abondamment distribuée aux médias paraissant à Kinshasa, il s’est dit victime d’une diffamation par la journaliste belge qui n’a fourni aucun détail ni preuve de ses affirmations le concernant. Je tiens donc à vous démentir de la façon la plus ferme ces allégations sans fondement qui ne visent qu’à entacher mon honneur, a-t-il écrit à ce sujet. L’éditorialiste du bihebdomadaire Le Maximum ne pense pas autre chose lorsque, interpellant Colette Braeckman, il lui demande de « trouver mieux pour convaincre les pays de la sous-région des Grands Lacs de déterrer la hache de guerre pour s’étriper mutuellement à la grande satisfaction des éternels tireurs de ficelles occidentaux ».
Un autre titre belge, La Libre Belgique a créé un supplément« La Libre Afrique » dont la ligne éditoriale semble être d’alimenter la conflictualité entre Congolais d’une part et, d’autre part, au sein de la sous-région des Grands Lacs africains en marge du troisième cycle électoral de 2016 au Congo-Kinshasa.
Dans un article intitulé RDC : Les voisins continuent de mettre la pression sur la kabilie[31], Hughes Leclercq qui en dirige les bonnes feuilles fait un étalage d’anticipations apocalyptiques lorsqu’il évoque l’engagement réitéré du président Joseph Kabila de respecter la constitution de son pays en ne présentant pas sa candidature pour un troisième mandat consécutif à la tête de la RDC comme un certain nombre de membres de la « communauté internationale » le soupçonnait de vouloir faire.
Kabila ayant démenti ces soupçons en avalisant, le choix des membres du Front Commun pour le Congo (FCC), la coalition électorale qu’il venait de créer sur le député Emmanuel Shadary, élu de Kabambare (province du Maniema) et N°2 du principal parti de la majorité au pouvoir, le PPRD comme candidat de cette plateforme à l’élection présidentielle, Leclercq a écrit que cette candidature de Shadary (était) une bombe à retardement : Face à cette tension à venir, la désignation de l’ex-ministre de l’Intérieur ne rassure pas même au sein de la majorité. C’est ce qui explique que certains dignitaires du régime ont été priés de faire le tour des médias nationaux pour dire tout le bien qu’ils pensaient du « camarade » Shadary. Un service minimum que d’autres ont refusé. Les Katangais ne digèrent pas la candidature d’un homme du Maniema. Dans certaines familles de la majorité, on estime avoir été pris en otage par le pouvoir qui a inscrit en dernière minute Shadary, un candidat sans charisme et sans appui dans la société civile.
Brodant quelques jours plus tard, en lieu et place des électeurs congolais sur l’opportunité de ce choix, La Libre Afrique sous-titrait prenait appui sur le fait que Shadary, ancien ministre de l’Intérieur faisait partie de la dizaine d’officiels congolais sanctionnés (de manière illégitime selon les autorités congolaises) par le Conseil européen pour « forcer le président Kabila à respecter la constitution de son pays pour y revenir avec un éditorial intitulé : Emmanuel Shadary, un dauphin sur la liste des sanctions européennes.
Le Katanga est donc de mauvaise humeur, sans parler de l’interdiction faite à Moïse Katumbi, et que dire des Kasaï qui voient arriver la candidature de celui qui était ministre de l’Intérieur au moment du dossier Kamwina Nsapu. « S’il vient au Kasaï, il sera bien reçu. Qu’il se souvienne de l’accueil qu’il a reçu quand il est arrivé en tant que secrétaire général permanent du PPRD à Mbandaka (sous une pluie de pierres) et ce n’est pas en sortant quelques liasses de billets qu’il fera taire les opposants. Ici, il a fait tuer des dizaines peut-être des centaines de personnes et des milliers d’autres ont dû prendre la fuite. Personne ne lui pardonnera, jamais. » A ce rythme-là, vu les tensions dans les Kivu, la démonstration populaire de Bemba à Kinshasa et la mainmise sur l’Equateur, il devrait peut-être lui rester le Maniema, même si certains prédisent que l’ex-Premier ministre Matata, qui se voyait comme le dauphin idéal jusqu’au mercredi matin, pourrait aussi être tenté de faire quelques croque-en-jambes à son « camarade » du PPRD. Shadary ne rassure pas et ce n’est pas l’Union européenne qui va dire le contraire, elle qui voit un homme placé sur sa liste des sanctions, intronisé candidat de la Kabilie. Quant aux Etats-Unis, ils attendent toujours la vérité sur l’assassinat de leur compatriote, expert des Nations unies, exécuté au Kasaï, toujours sous l’ère Shadary à l’Intérieur et à la Sécurité.[32]
A première vue, on se trouve face à un véritable plaidoyer pour la fragilisation de la République Démocratique du Congo par une astuce qui consiste à ramener à la surface les interminables chicaneries communautaires qui ont plombé la stabilité du pays dès l’aube de l’indépendance en 1960. C’est une inclinaison récurrente chez nombre d’éditorialistes de la presse belge qui peut être liée à une volonté délibérée, bien qu’inavouée, de se donner bonne conscience face aux multiples accusations adressées à leur pays d’avoir volontairement fait dérailler le processus de décolonisation du Congo. Que longtemps après l’indépendance les Congolais continuent à s’étriper entre eux dans des campagnes électorales prématurées et sur base de considérations ethniques et régionales ne constituerait-il pas une sorte de preuve que hors de l’encadrement normatif des anciens de l’ancienne métropole coloniale ?
En effet, envisagée dans une perspective congolaise, cette tirade de La Libre Belgique ne résiste pas à une analyse sérieuse car Sharady est notoirement considéré par la plupart de ses compatriotes comme le ministre de l’Intérieur qui a réussi l’exploit de ramener la paix au Kasaï en amenant autour de la table des négociations les responsables de la milice rebelle Kamuina Nsapu et en organisant ensuite avec succès la conférence pour la réconciliation, la pacification et le développement du Kasaï à Kananga.
A l’instar de la plupart des chroniques catastrophistes qui sont quotidiennement déversées sur les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs autour de ce véritable scandale géologique qu’est le Congo-Kinshasa, la caricature de Hughes Leclercq semble viser la perpétuation de l’image misérabiliste d’un Congo-Kinshasa incapable d’assumer seul son destin, ce qui justifierait ipso facto la poursuite de la « mission civilisatrice et missionnaire » que la Belgique et avec elle plusieurs Etats de l’hémisphère Nord en général tentent de s’y adjuger depuis l’ère de l’esclavagisme et de la colonisation. Venance Konan directeur du quotidien ivoirien Fraternité Matin le déplore sans aménité dans la conclusion d’un récent à ce sujet :
Quel visage présente en ce moment le continent africain dans sa partie subsaharienne ? On y voit des Etats gangrenés par la corruption et – ou les guerres, les mouvements djihadistes, des Etats qui dépendent presque tous de l’aide internationale pour vivre ou parfois survivre, avec des villes sans âmes ni personnalité, construites dans le plus grand désordre, sales, encombrées d’ordures et de sacs plastiques. L’Afrique subsaharienne, c’est la réserve des matières premières où tous les pays qui veulent émerger viennent prendre ce qu’il leur faut en les pillant sans vergogne, mais c’est aussi la poubelle où les Etats riches du Nord viennent déverser leurs déchets (…). L’Afrique noire, c’est le continent où la vie humaine ne vaut plus un clou (…) où le surréalisme et la réalité sont si étroitement mêlés qu’il est parfois impossible de les distinguer, et, où, à l’exception de quelques rares pays, lorsque les choses marchent à peu près correctement, cela relève du miracle. Et les Africains dans tout cela ? Des peuples sans ambition, incapables le plus souvent de se projeter au-delà du jour présent, qui pour la plupart, ont perdu jusqu’au sens du mot « dignité » et qui ne se rendent pas compte qu’ils sont considérés par les autres peuples un peu comme un grand enfant, l’idiot du village, qui peut parfois être gentil, que tout le monde aime bien, même s’il est niais (…) celui que tout le monde se doit d’aider, quand lui-même ne se sent pas tenu de fournir le moindre effort.[33]
Du pain béni pour les chroniqueurs et autres agents d’influence partisans d’une dépendance éternelle de l’Afrique très nombreux dans les pays occidentaux et particulièrement dans les rédactions des médias « globaux » qui, grâce à leurs moyens et à leurs rayonnements, façonnent en quelque sorte l’opinion publique mondiale.
III. SYNDROMES DE LA MAIN TENDUE ET DE L’ETERNELLE DEPENDANCE
Le Congo-Kinshasa est parmi les pays dans lesquels le matraquage incessant des médias globaux semble avoir laissé le plus de séquelles. Celles-ci se cristallisent dans les syndromes de la main tendue et de l’éternelle dépendance qui caractérisent l’univers mental d’un nombre important de membres des élites. Un éditorial du magazine Jambo le souligne non sans inquiétude :
Près de 60 ans après sa pseudo indépendance, le peuple de la RD Congo courbe encore l’échine, tarde à relever son front alors qu’il le chante à chaque levée du soleil, à telle enseigne que la question de savoir si ce pays est vraiment indépendant ne se pose plus. Pire, certains récusent déjà la lutte de Lumumba lui imputant la souffrance que nous subissons aujourd’hui, pour avoir, supputent-ils, exigé une indépendance hâtive en le comparant à Mandela. C’est pathétique! L’éternel gosse.[34]
Nombreux sont en effet les observateurs qui s’insurgent du fait que malgré son accession à la souveraineté nationale et internationale, le Congo-Kinshasa continue toujours à se chercher. Il est devenu un lieu commun de rappeler qu’à l’indépendance en 1960, ce pays se situait, aux plans économique et des infrastructures au même niveau que le Canada et à un niveau supérieur à la Corée du Sud ou l’Afrique du Sud qui sont toutes deux devenues des pays émergents.
La réflexion de Jambo situe les premières lueurs de la prise de conscience des autochtones de leurs droits à la deuxième guerre mondiale quand la force publique du Congo belge, une des armées les plus fortes à l’époque en Afrique, est allée prêter main forte aux alliées en Afrique de l’Ouest. Dans des pays comme le Ghana ou le Nigéria, les soldats Congolais étaient surpris de voir des noirs (qui) assumaient de hautes fonctions dans l’armée et l’administration. Noirs et blancs pouvaient travailler en collègues et amis. Un rêve qui n’était pas sur le point de voir le jour au Congo-Belge où la ségrégation entre Noirs et Blancs était encore la règle d’or. Le Blanc étant (un être) supérieur et le noir un sous homme, presque un animal domestique à élever. Les évolués (des Noirs vivant à l’européenne) étaient encore quelques centaines.[35]
Les premières élections municipales ont été organisées en 1958 à la suite d’une série d’actes de défiance aux autorités de l’administration coloniale. Pour éviter un embrasement mettant en péril tout l’édifice, le gouvernement belge consentit à desserrer timidement l’étau qui enserrait jusque-là les populations « indigènes » (autochtones) de la colonie. Trop timidement en fait parce que même le plan d’une indépendance après une sorte de transition de 30 ans proposée par l’universitaire Jef Van Bilsen était considéré comme trop « révolutionnaire ».
Le mot d’ordre « pas d’élites, pas d’ennuis » attribué au roi Léopold II, ancien propriétaire de l’actuel Congo-Kinshasa avant de le céder à son pays en 1908 était manifestement toujours à l’ordre du jour. Cet aveuglement fut brutalement secoué par les émeutes du 4 janvier 1959 lorsqu’à l’issue d’un meeting annulé de l’Alliance des Bakongo, une association communautaire transformée en parti politique, des groupes de manifestants mécontents firent jonction avec les spectateurs exaltés chahutant après un match de football pour se répandre dans la cité africaine de Léopoldville pillant et saccageant tout sur leur passage.
C’est dans cette atmosphère survoltée que surgirent les leaders indépendantistes radicaux comme Patrice Lumumba ou Pierre Mulele. Leur motivation est bien résumée dans cet extrait de Jambo Magazine : « doit-on croire qu’un jour le cœur du bourreau s’attendrira pour qu’il vous offre votre liberté ? Utopie. Il n’y a pas d’autre choix que de se battre pour obtenir que l’on soit seul maitre de son propre destin ».[36]
Il est utile de signaler les attitudes inconséquentes de la part de certains acteurs autochtones qui, sortant d’une servitude, ne trouvaient rien de mieux que de prendre la place des anciens maîtres. Jambo s’y réfère en fustigeant « le Congolais (qui) pensait qu’après l’indépendance il n’aurait plus à travailler pour vivre. Et qu’il devrait tout recevoir. (Qu’il devrait) commander comme le faisait le colon (qui) ne prêchait pas par l’exemple, se limitant à crier « bande des macaques et des paresseux ! » alors que lui se tenait sur sa canne les rares moments qu’il ne fait pas usage du Kiboko (fouet) ».[37]
Les premiers jours de l’indépendance avaient été marqués par une campagne particulièrement agressive de décrédibilisation des nouvelles autorités congolaises par la plupart des responsables de l’administration coloniale et leurs alliés au sein de l’Eglise catholique et des sociétés à charte tous nostalgiques de l’ordre ancien. Ils ont recouru pour cela aux médias. On peut considérer cette campagne comme une suite logique des efforts de mise en place et de consolidation de l’impérialisme occidental en Afrique. On peut penser dans cette optique à la vraisemblance de la thèse selon laquelle c’est dans cette perspective que sont nées en occident quelques entreprises médiatiques destinées aux élites africaines et dont le rôle paraît pour le moins questionnable à cet égard. C’est le cas de Jeune Afrique, un des fleurons de la presse internationale francophone créé par le Tunisien Béchir Ben Yahmed (BBY), ancien ministre de l’Information du président Habib Bourguiba.
Médiapart, une agence parisienne de presse d’investigation a, dans un article intitulé « Jeune Afrique: Racisme, chantages, escroquerie, mercenariat, rackets…perquisitions d’une maison close… », a dénoncé avec des mots durs le rôle cynique joué par Jeune Afrique(JA) dans la plupart des pays africains francophones en collusion avec les groupes les plus conservateurs des élites au pouvoir en France.[38]
JA s’est enrichi sur le dos des Africains en s’alignant toujours sur les positions françaises. Les violons s’accordaient régulièrement entre BBY et Jacques Foccart qui révéla dans ses mémoires qu’il avait un rituel d’un dîner par mois avec le propriétaire de J.A et même que Jacques Foccart avait désigné BBY comme son légataire testamentaire universel. Que peut-on donc attendre d’un héritier légal de Jacques Foccart? J.A fait clairement partie intégrante des réseaux Foccart avec la mission de salir, d’insulter les dirigeants et chefs d’État de la seule Afrique Noire. Depuis sa création, J.A n’a jamais traité un chef d’État Arabe de dictateur, de tueur, et pourtant tout le monde peut faire son constat sur la réalité des pays arabes. J.A est la manifestation de la haine et de la soumission des seuls Africains noirs à la France. En dehors des opérations de chantage à l’encontre des chefs d’État africains, s’ajoute l’escroquerie qui fait que ce journal soit vendu deux fois. Chaque impression est d’abord présentée au chef d’État ou à l’homme politique concerné avant d’être mis en kiosque. (Cela) permet de maintenir la pression sur les dirigeants noirs africains. Au Cameroun, un contrat pour la somme de 650 millions de FCFA à verser chaque année permet au régime de Paul Biya de bénéficier d’un traitement de faveur. Cette somme a été payée pendant 4 ans. Après le refus du Président camerounais de payer, J.A a pondu un dossier pour zapper et critiquer Paul Biya. Au Sénégal, de vives tensions avaient opposé le régime de (Abdou) Diouf à BBY au sujet de la couverture de la crise qui a opposé le Sénégal à la Mauritanie en 1989. Les premiers papiers de J.A étaient une véritable lapidation médiatique de Diouf. L’élite sénégalaise avait bien compris que BBY avait choisi le camp de ses frères arabes. Diouf paniqua et envoya une délégation pour négocier à coups de millions de FCFA (…). Au Rwanda, pendant longtemps, le régime de Juvénal Habyarimana a signé d’importants contrats publicitaires, J.A a fait des affaires en or avec les auteurs du génocide. Désormais, on fait la cour à Kagamé. Après la signature d’un contrat de 350 000 dollars, (il) désormais décrit comme ayant fait de son pays un paradis sécuritaire etc. J.A reste un excellent outil d’endoctrinement des populations noires africaines au service de la France en Afrique (Françafrique) et qui a pour seule loi : « obéir ou mourir ».[39]
Ces révélations de Médiapart sur le groupe Jeune Afrique peuvent s’appliquer à bien des égards sur d’autres médias globaux comme Radio France Internationale (RFI). A l’évidence, les anciens colonisateurs étaient bien décidés depuis la vague des indépendances nominales des années ’60 à récupérer par la main gauche ce qu’ils avaient été contraints de concéder de la main droite. Ces médias qui étaient à l’évidence chargés de rationnaliser l’entreprise néocoloniale venaient en appui aux barbouzes et aux requins de la haute finance occidentale.
Cette coalition s’est révélée payante particulièrement en République Démocratique du Congo car, trois mois à peine après la proclamation de l’indépendance dans la rotonde du Palais de la Nation de Kinshasa, Patrice Lumumba avait été neutralisé politiquement par un coup d’Etat salué comme salvateur avant d’être supplicié et sauvagement assassiné par un peloton de tueurs composés de Belges et de Congolais à Elisabethville (Lubumbashi) au nez et à la barbe des casques bleus de la Mission de l’Organisation des Nations Unies au Congo (ONUC).
Dépourvues de ressources naturelles, la plupart des métropoles coloniales européennes ne font plus mystère de leur détermination à se ménager coûte que coûte un accès ininterrompu et à vil prix aux énormes potentialités naturelles mises à jour dans leurs anciennes colonies. La vieille recette consistant à diviser pour régner, a été mise à contribution, au propre comme au figuré. Il s’agissait non seulement d’opposer des coteries politiques et des communautés entre elles mais aussi, et peut-être surtout, de parvenir à reconfigurer la géographie politique des espaces africains en vue de s’offrir comme interlocuteurs des ensembles plus malléables. C’est la fameuse politique de la balkanisation contre laquelle Patrice Lumumba s’était véhémentement opposé en 1960 lorsque des sécessions (l’une au Katanga et l’autre au Kasaï) tentèrent de morceler l’ancien Congo-Belge devenu indépendant. Et l’éditorialiste de Jambo Magazine pouvait observer à cet égard qu’« il n’y a pas plus facile que de diviser deux idiots à qui on donne un billet de 50 francs sachant que toute monnaie inférieure à celle-là n’est pas en circulation. (…) Ils chercheront à diviser le billet en deux parties au lieu de le garder intact pour acheter ensemble un pain qu’ils pourront utilement partager ».
Il est de notoriété publique que l’hévéa du Congo, l’huile de palme du Kwilu, le cuivre et le cobalt du Katanga ont fait les beaux jours aussi bien de l’Etat Indépendant du Congo que du Congo-Belge. L’accession brusque du pays à la souveraineté nationale et internationale aura donc été de toute évidence vécue comme une dramatique perte pour ceux qui, à travers les sociétés à charte, vivaient de cette rente. C’est essentiellement à eux que l’on doit la neutralisation des élites indépendantistes et nationalistes justifiée et légitimée dans le contexte de la guerre froide par la lutte contre le communisme.
Lorsque Lumumba fut assassiné, les premières initiatives prises par ses tombeurs emmenés par le colonel Mobutu avait été de fermer le « foyer de subversion communiste » qu’était l’ambassade de l’Union soviétique à Léopoldville (Kinshasa). Cinq ans plus tard, les Etats-Unis plaçaient et maintenait fermement Mobutu au pouvoir. Leur objectif était non seulement d’avoir la mainmise sur le cuivre congolais afin de fabriquer des engins militaires pour la guerre du Vietnam (55-75) mais la justification de cet interventionnisme par la quasi-totalité des reporters et chroniqueurs des médias occidentaux mettaient plus l’accent sur la nécessité d’éviter que cet immense pays au cœur de l’Afrique ne tombe entre « de mauvaises mains », c’est-à-dire d’un régime communiste.
Dans la deuxième moitié des années 80, on a assisté à un fléchissement des lignes éditoriales pro mobutistes des grands médias européens et nord-américains. La chute des cours des matières premières juxtaposée à la fin de la guerre froide (effondrement de l’Union Soviétique) rendaient peu utiles à la prépotence occidentale des personnages aussi mal famés que Mobutu que l’on présentait jusque-là comme indispensables.
Par ailleurs, gravement affaibli par un cancer de la prostate en phase finale, le dictateur ne valait plus grand chose pour ceux qu’il avait servis. On pensa à le remplacer en profitant des dialectiques régionales et politiques internes. L’Ouganda et le Rwanda furent chargés de la besogne. Ils crurent s’appuyer pour pérenniser le système sur Laurent-Désiré Kabila, un opposant irréductible à Mobutu exilé en Tanzanie depuis plus de trente ans. Le but était de donner une couleur locale à ce qui n’était conçu au départ que comme un jeu de chaises musicales avec en toile de fond le maintien au Congo-Zaïre d’un système extraverti.
Après avoir porté aux nues le vieux révolutionnaire et son AFDL, les médias globaux devinrent ses détracteurs les plus féroces dès lors qu’il devint évident que « Mzee » (le vieux) Kabila n’entendait pas se prêter à un rôle de potiche des puissances occidentales.
Depuis les années 2000, les groupes armés ont repris pied au Kivu pour rendre disponibles à vil prix des minerais comme le coltan, indispensable pour l’industrie de la miniaturisation des appareils électroniques qui fait l’essor de la Chine, de l’Inde, etc.
L’histoire postcoloniale du Congo-Kinshasa démontre que, mis à part les élections générales de 1960 qui portèrent Patrice Lumumba et sa coalition au pouvoir, les changements de régime autant que les éruptions de violences d’instabilité qui ont traversé ce pays n’ont jamais été l’œuvre exclusive des forces nationales.
Dans cette optique, il peut paraître plus efficace pour une multinationale étrangère, dont le pays ne participe en rien aux efforts du gouvernement congolais pour maintenir l’ordre public et la sécurité ou développer les zones minières, d’investir dans une milice (force négative) pour avoir accès à des carrés miniers et exploiter ceux-ci presque sans contrepartie. Avec des millions de jeunes sans-emploi vivant d’expédients dans les grandes agglomérations congolaises, il n’y a pratiquement qu’à se baisser pour faire une moisson abondante du personnel local pour une telle aventure. Les lobbyistes tapis dans diverses capitales occidentales à l’affût de bonnes occasions de se servir sur « la bête » veilleront, en échange de contrats juteux, à donner un semblant de légitimité et de respectabilité au projet.
III.1. Fétichisation des valeurs occidentales
Les observations du philosophe camerounais Eboussi Boulaga[40] sur le processus de fétichisation des valeurs occidentales par le biais de la religion peuvent s’appliquer aux médias. Des valeurs comme les droits de l’homme, l’alternance et la liberté d’expression sont en effet abusivement instrumentalisés par les médias occidentaux et deviennent un instrument efficace de domination et d’exploitation des peuples des pays en voie de développement en général et d’Afrique en particulier. Ce qui justifie la défiance de penseurs des pays en question comme Nadoulek lorsqu’il écrit qu’il observe qu’«au 19ème siècle, les Occidentaux nous ont colonisés grâce à leurs canonnières.
Au 20ème siècle, grâce à leurs capitaux et au 21ème siècle, ils tentent de maintenir leur suprématie passée grâce à leur idéologie ».[41] Pas étonnant que d’importants moyens soient affectés au développement des médias et à leur rayonnement vers le Sud. Ainsi, ces valeurs, censées théoriquement offrir une protection universelle aux individus, de quelque race ou partie du monde qu’ils soient, sont-elles devenues des véhicules d’un néocolonialisme sans fards ?
L’hypocrisie des intervenants – pour la plupart occidentaux – dans l’élaboration et la diffusion en Afrique des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de l’homme qui tire ses racines profondes de leur volonté de faire triompher une conception manichéenne de ces droits est flagrante en ce que leurs critiques les plus acérées ne ciblent généralement que des régimes qui remettent peu ou prou en cause leur prédominance. Leur gestion des suites du génocide rwandais de 1994 illustre bien cette inclinaison.
Après le démantèlement par le régime post-génocide du FPR des camps de réfugiés rwandais dans le Kivu en 1996, les « policy makers » américains, les officiels des Nations-Unies, les ONG et les agences intergouvernementales impliqués s’étaient imposés le silence sur les atrocités observés en cette circonstance. Ce n’est qu’en 2010 que fut publié par l’ONU le « rapport mapping sur les violations des droits de l’homme au cours de la période 1993-2003 ». Cet éveil tardif a coïncidé avec la décision, bilatérale, prise, de guerre lasse par la RD Congo et le Rwanda de gérer ensemble ce défi, ce qui donne à penser que c’est moins les atrocités susmentionnées que le rapprochement entre les deux pays voisins qui avait gêné les décideurs occidentaux.
Cet arbitraire dans la sélection des abus à dénoncer et du moment pour le faire discrédite l’approche du concept des droits de l’homme conçue par les acteurs occidentaux et certains médias qui leur servent de caisses de résonnance. Il s’agit moins ici de rejeter des principes auxquels tous les Etats membres de l’ONU ont souscrit et qui sont du reste repris expressis verbis dans les constitutions de tous les Etats, que de dénoncer le refus obstiné de leur contextualisation, caractéristique d’un totalitarisme idéologique de la part de ceux qui prétendent incarner à eux seuls la bonne conscience de l’humanité toute entière.[42]
Il ne fait plus de doute que l’ethnocentrisme occidental charrié par ces médias en fait des instruments d’une domination de l’hémisphère Sud par d’anciennes puissances coloniales et leurs alliés. Il est constitutif d’un impérialisme déshumanisant, une sorte de dictature culturelle de l’Occident qui use parfois de dérision pour détruire dans l’âme de ses victimes toute estime de soi et inculque à des générations entières d’Africains l’idée que sans l’assistance de l’Occident, rien de bon ne peut leur arriver.
De fait, sans tropicalisation, les concepts qu’imposent les médias globaux à leurs auditeurs et lecteurs africains s’avèrent problématiques lorsqu’on les confronte aux réalités africaines. Dans la sous-région des Grands Lacs, leur extrapolation sans nuances porte en elle-même ces germes de virtualités désincarnées dont Mugangu rend compte à bon escient dans son étude sur les notions de personne et de minorité.[43] Pour ce chercheur africain, alors qu’en Occident, la personne est définie par son unité intrinsèque et son autonomie en tant qu’individu isolé et ne participant à la société qu’en tant que citoyen, l’Afrique conçoit l’individu comme « un chaînon vivant, actif et passif, rattaché par le haut à l’enchaînement de sa lignée ascendante et soutenant sous lui la lignée descendante ».
Il en est de même des notions de la responsabilité et de la solidarité qui cimentent la vie communautaire en Afrique noire. Elles impliquent qu’il n’existe pas de droit sans obligation pour l’être essentiellement social qu’est l’homme et induisent une sorte d’autodiscipline qui réduit au strict minimum l’intervention des institutions formelles ‘stricto sensu’ pour organiser le comportement social. Elles sont, de ce fait antinomiques par rapport à la symbolique occidentale qui repose sur des revendications personnelles mises bout à bout par les apôtres d’un conformisme mimétique fondé sur une vision artificiellement juxtaposée des individus composant la communauté que la plupart des médias se sont évertué de transplanter en Afrique subsaharienne après les indépendances.
Pour y parvenir, de puissants faiseurs d’opinion se sont livrés non sans succès à une véritable entreprise de déconstruction de la pensée émancipatrice au sein des élites africaines, dans le droit fil des recommandations de Jules Ferry qui n’avait pas mâché ses mots dans un discours devant l’assemblée nationale française le 28 juillet 1895 lorsqu’il évoqua le devoir des « races supérieures » de civiliser les « races inférieures »:
Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures (mais) elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. Ces devoirs ont souvent été méconnus dans l’histoire des siècles précédents, et certainement quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l’esclavage dans l’Amérique centrale, ils n’accomplissaient pas leur devoir d’hommes de la race supérieure (…). La concurrence, la loi de l’offre et de la demande, la liberté des échanges, l’influence des spéculations, tout cela rayonne dans un cercle qui s’étend jusqu’aux extrémités du monde. C’est là un problème grave. Il est si grave… que les gens les moins avisés sont condamnés à prévoir l’époque où ce grand marché nous sera disputé et peut-être enlevé par les produits de l’Amérique du Nord. Il faut chercher des débouchés.[44]
Ainsi que le fait observer fort opportunément Konan, les pays d’Afrique noire ont été pillés car « devoir de civilisation, oui, mais n’oublions surtout pas qu’il y a de l’argent à gagner dans cette affaire ».[45] A l’appui de sa réflexion, il cite ce passage du Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire :
Colonisation et civilisation ? La malédiction la plus commune en cette matière est la dupe de bonne foi d’une hypocrisie collective, habile à mal poser les problèmes pour mieux légitimer les odieuses solutions qu’on leur apporte. Cela revient à dire que l’essentiel ici est de voir clair, (…) de répondre à l’innocente question initiale : qu’est-ce en son principe que la colonisation ? De convenir de ce qu’elle n’est point : ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension du Droit ; d’admettre une fois pour toutes que le geste décisif est ici de l’aventurier et du pirate, de l’épicier en grand et de l’armateur, du chercheur d’or et du marchand, de l’appétit et de la force avec, derrière, l’ombre portée, maléfique, d’une forme de civilisation qui, à un moment de son histoire, se constate obligée, de façon interne, d’étendre à l’échelle mondiale la concurrence de ses économies antagonistes.[46]
L’assimilation culturelle des populations des pays colonisés apparaît à cet égard comme un instrument de prédilection pour permettre aux conquérants d’y conserver une sorte de rente éternelle. Rien de plus efficace dans cette perspective que la conviction, chevillée au corps des élites des communautés autochtones, de l’inéluctabilité de leur situation de vaincus face à des vainqueurs.
Konan convoque à cet égard Frantz Fanon dans son évocation de l’attitude de la plupart de ses frères de race semblable à celle de prisonniers volontaires dont le geôlier n’a pas besoin de murs pour s’assurer qu’ils ne s’évaderont point : « Aussi pénible que puisse être pour nous cette constatation, nous sommes obligés de la faire : pour le Noir, il n’y a qu’un destin. Et il est blanc ».[47]
A l’évidence les médias globaux (occidentaux) et leurs relais en Afrique subsaharienne joue un rôle de premier plan dans ce schéma d’auto-dévalorisation par la fétichisation des valeurs occidentales en Afrique qui constitue le degré zéro de l’impuissance des Africains.
III.2. Une impuissance imposée et assumée
La plupart des professionnels de l’opinion du Nord ne font pas mystère de leur volonté radicale de promouvoir, voire d’imposer dans leurs lignes éditoriales la prédominance des valeurs, et des Intérêts Nationaux, de l’Occident dans leur lecture des faits et des idées concernant les pays du Sud même au détriment de la déstabilisation de ces derniers. Marina Ottaway, une intellectuelle américaine, codirectrice du projet « Démocratie et Etat de droit » du gouvernement de son pays, défendait ainsi avec une incroyable arrogance et en des termes sans équivoques devant la sous-commission des Affaires Africaines du Sénat des Etats-Unis d’Amérique l’idée que la République Démocratique du Congo était « trop grand » et devait être morcelé en plusieurs petites entités plus viables :
Les Etats-Unis et d’autres acteurs non africains sont placés devant un choix important, celui de savoir s’il faut intervenir massivement ou pas dans ce conflit en Afrique centrale. Beaucoup d’Etats qui ont émergé de la période coloniale ont cessé d’exister en fait et les règles de l’OUA ne peuvent être appliquées à des Etats qui n’existent plus. Il faut laisser les Africains trouver leurs propres solutions. Inévitablement cela se traduira par une continuation des combats internes et entre Etats et probablement le démembrement de certains pays avant d’arriver à une nouvelle stabilité. Ce n’est pas une perspective réjouissante mais il n’y a pas d’alternatives crédibles.[48]
Ce sont de telles motivations cyniques qui fondèrent la campagne musclée des hommes d’influence et des médias occidentaux qui ont relayé leurs idées pour l’atomisation (mushrooming) du Congo-Kinshasa dans les dernières années de l’ère Mobutu. Un des plus chauds partisans de la partition de ce grand pays, Paul Kagamé, l’homme fort du Rwanda, s’y était associé activement ainsi que l’illustreses propos au Los Angeles Times :
Sans doute un gouvernement, un homme à partir de Kinshasa ne peut pas gérer efficacement les problèmes de gens qui vivent dans un pays si étendu avec des infrastructures les plus pauvres du continent. Peut-être le Congo serait-il mieux avec une autonomie permettant à certaines provinces de se gouverner elles-mêmes au lieu de toujours se référer au gouvernement central.[49]
D’autres médias globaux ont longtemps fait chorus pour préparer les esprits à des interférences extérieures (occidentales) justifiées par la prétendue nécessité de « secourir le peuple congolais soumis à une dictature », un argument qui n’est pas sans rappeler la « mission de civilisation » des Européens en Afrique subsaharienne invoquée à la conférence de Berlin de 1885.
L’instrumentalisation de quelques dirigeants de pays voisins du Congo (Rwanda et Ouganda) dans cette entreprise est à la base de la « première guerre mondiale africaine » qui vit près d’une dizaine d’Etats s’affronter dans ce pays entre 1998 et 2003, provoquant, directement indirectement, plus de cinq millions de morts.
Malgré le retour à la paix grâce à de laborieuses négociations menées en Afrique du Sud, quinze ans après, le Washington Post s’évertuait toujours à solliciter de telles interférences avec en arrière-plan l’idée de l’atomisation de ce vaste pays. « Trump shouldn’t let Congo’s leader stomp all over humanrights » (Trump ne devrait pas laisser le leader congolais marcher sur tous les droits de l’homme), pouvait-on lire dans un éditorial paru dans la rubrique d’opinion du quotidien américain[50] plaidant pour une interférence des Etats-Unis dans le processus électoral en RDC.
Le moins que l’on puisse dire est que nombre de membres des élites africaines semblent avoir intégré ces poncifs surannés de leur « impuissance congénitale » à résoudre les problèmes les plus élémentaires de leur vécu quotidien sans la main paternelle et compatissante des « maîtres du monde ». On peut rappeler à ce sujet l’attitude de Vital Kamerhe, alors président de l’Assemblée nationale de la RDC exigeant qu’une convention économique bilatérale avec la Chine dont le gouvernement sollicitait l’autorisation de ratification devant le parlement soit « préalablement soumise à nos partenaires traditionnels (occidentaux) pour s’assurer que tout est en ordre ».[51]
C’est dans la même veine que s’inscrivaient, plus de 8 ans après, les évêques membres de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) lorsque, après avoir offert leurs bons offices pour le rapprochement des points de vue entre la majorité au pouvoir et l’opposition en RDC fin 2016, ne trouvèrent pas mieux que de se rendre, de leur propre chef à Bruxelles afin de « rendre compte » aux partenaires européens de la République Démocratique du Congo des solutions qui avaient été convenues par leurs compatriotes dans le but de résoudre la crise provoquée par la non organisation des élections dans les délais constitutionnels.
Après Bruxelles, ces évêques congolais s’étaient rendus à New York où l’un d’entre eux, Mgr. Marcel Utembi, archevêque de Kisangani, s’adressant aux membres du Conseil de sécurité de l’ONU appela à une implication plus directe de « la communauté internationale » dans la stabilisation de son pays au motif que selon lui, du fait de la non organisation des élections à la fin de l’année 2016, « il n’y avait plus d’institutions légitimes en République Démocratique du Congo ». Une lecture à contrario d’une disposition de la constitution en vigueur dans le pays stipulant expressisverbis que toutes les institutions nationales, demeuraient en place (et étaient donc légitimes) avec toutes leurs prérogatives jusqu’à l’installation de nouvelles institutions issues des élections.
De nombreux autres exemples de cette veulerie de larges couches de l’intelligentsia congolaise pourraient être étalés ici. Mais les quelques cas qui ont été évoqués ci-dessus suffisent à soutenir notre argumentation.
De la conquête coloniale jusqu’aux tentatives de balkanisation de la RDC en passant par le génocide rwandais et ses avatars dans les pays de la région sur fond du Congo Bashing, force est de constater que les médias ont joué un rôle essentiel dans l’instabilité des pays des Grands Lacs africains qui abritent toujours de nombreux espaces de non droit et d’une extrême fragilité. Il a été démontré que pendant toutes les crises sus-évoquées, les médias dont on aurait pu attendre un impact positif sur l’apaisement des situations de crise et le rétablissement des équilibres rompus ont, au contraire, jeté littéralement de l’huile sur ce véritable chaudron.
Historiquement, dans cette sous-région, nombre de médias occidentaux ont été souvent plus un élément de déstabilisation qu’un vecteur de solution aux crises du fait d’une ligne éditoriale vouée à l’exacerbation des oppositions intercommunautaires qui ne servent ni à l’apaisement ni à la réduction des conflits et encore moins à la promotion de la stabilité et de la paix, éléments indispensables pour la viabilité d’entités étatiques dignes de ce nom. On a vu le rôle d’une entreprise audiovisuelle, RTLM dans l’aggravation de la tragédie rwandaise de 1994 qui n’est pas restée sans conséquences sur le Burundi voisin.
Avant l’accession du Congo à la souveraineté nationale et internationale, la seule radio privée qui émettait à Léopoldville (Kinshasa) en 1960 appartenait à l’Église catholique qui disposait en outre de quelques titres de la presse écrite. Elle est accusée de les avoir utilisé pour entretenir la chienlit qui a failli provoquer l’effondrement du jeune Etat en travestissant délibérément l’image des parties prenantes à la vie institutionnelle de l’époque notamment par des violentes diatribes récurrentes contre les leaders indépendantistes de la trempe de Patrice-Emery Lumumba ou Antoine Gizenga qui avaient le vent en poupe.
L’objectif recherché était de faire le lit des hommes de paille de l’administration coloniale décadente qui militaient en faveur du maintien du statu quo ante. On s’y répandait à longueur de journées en critiques aussi féroces que caricaturales contre les « nationalistes » (partisans de l’indépendance immédiate) en affirmant notamment que leurs programmes et projets de société allaient mettre à la disposition du tout-venant ce à quoi les autochtones tenaient le plus.
L’idée la plus répandue dans cette campagne largement relayée par un certain nombre de lettres pastorales, de sermons ou d’éditoriaux était que si Lumumba et « ses communistes » arrivent au pouvoir, les propriétés individuelles (bicyclette, réserves alimentaires, fermes, voire même les épouses et enfants des Congolais) seront à la disposition du tout-venant car tel est le fondement de l’idéologie communiste.
Patrice Lumumba n’était pas communiste mais ces moyens de communication de masse et ceux qui les manipulaient s’efforçaient d’accréditer la thèse selon laquelle le courant indépendantiste qu’il incarnait était constitué de dangereux aventuriers antisociaux dont il fallait se méfier et qu’il fallait éliminer à tout prix.
A l’évidence, l’histoire des pays de la sous-région des Grands Lacs africains aurait été moins dramatique si de tels médias n’avaient pas autant contribué à diviser, et à opposer, aussi cyniquement les communautés autochtones les unes aux autres tout en donnant à des groupes nostalgiques du passé colonial des arguments justifiant leurs interférences dans la vie institutionnelle des Etats postcoloniaux.
L’influence des médias dans la rationalisation de la colonisation et dans la cristallisation des atavismes qui ont conduit à des bouleversements déstabilisateurs après les indépendances comme le génocide rwandais de 1994 et les conflits qui ont traversé le Burundi et la République Démocratique du Congo dans les premières années qui ont suivi leur décolonisation est donc indéniable. La Radio Mille collines semble avoir pris à elle seule une belle part de responsabilité dans la tragédie rwandaise. Mais la stigmatisation et les appels à la violence relayés sur ce média et qui ont tant horrifié la communauté internationale bienpensante se révèlent comme la conséquence prévisible d’une longue tradition héritée de la colonisation du Congo-Belge et du Rwanda-Urundi.
En définitive, à l’instar de bien de nouveaux progrès conçus pour rendre l’homme mieux épanoui, les médias ne sont que ce que les hommes qui les utilisent décident qu’ils soient. Ils peuvent massifier les valeurs sur lesquelles reposent les sociétés, ou, au contraire, contribuer à mettre en péril l’harmonie sociale. Il ne serait néanmoins pas correct d’extrapoler à partir des exemples susmentionnés pour affirmer que les médias sont le canal exclusif par lequel passe le mal-être dont est affligée la sous-région des Grands Lacs. Le dévoiement calamiteux observé devrait en même temps inférer une interpellation et une prise de conscience : la vigilance des élites politiques et sociales (société civile) dans ces pays a été de toute évidence prise à défaut face aux antivaleurs répandues par ces moyens de communication de masse. D’où la nécessité de s’assurer qu’ils sont édités, ou publiés, uniquement par des professionnels responsables pouvant garantir une conformité par rapport aux normes morales et légales et ne versent pas dans les abus de tous ordres.
Bien que chahutés par ceux qui n’y trouvent pas leur compte, des efforts ont commencé à être fournis dans ce sens ici et là par certains gouvernements des pays de la sous-région des Grands Lacs africains conscients de l’impact des médias sur l’instauration de la stabilité et d’une paix durable dans cette région très fragile du continent. On peut ajouter à de tels efforts une tentative, au départ louable, en République Démocratique du Congo, de la Fondation Hirondelle qui en synergie avec les Nations-Unies a installé Radio Okapi en vue de contribuer à la consolidation de la paix aux plans national et régional.
Malheureusement, sous la commandite de quelques groupes d’influence désireux de transformer la mission de stabilisation du Congo (Monusco) en une sorte de mise sous tutelle onusienne de l’Etat congolais, cette entreprise audiovisuelle a multiplié ces derniers mois des véritables « sorties de piste » susceptibles de torpiller tous les efforts de normalisation de ce pays.
Quant aux médias qui pullulent en ligne, ils ne paraissent pas encore de nature à promouvoir le vivre-ensemble harmonieux auquel ont droit les peuples de cette région dans la mesure où des multitudes d’anonymes cachés derrière leurs ordinateurs ou leurs Smartphones s’amusent quotidiennement à créer la psychose et à répandre la haine. Quelques-uns ont fait des fake news un gagne-pain et un divertissement très prisé ; même s’il est malaisé d’imaginer qu’il puisse en être autrement dans le monde actuel brouillé et embrouillé, cupide confusionniste, entremetteur et atypique.
En définitive, les crises sont inhérentes à toute société humaine et les médias ne peuvent pas à eux seuls en porter la responsabilité ou en venir à bout. En attendant l’âge d’or au cours duquel un nombre significatif de médias contribueront sans procrastination à la prévention des conflits et la stabilisation de la sous-région des Grands Lacs africains, les élites et les populations ayant en partage cet espace géographique devraient être amenés à s’assumer pour lutter contre cette tendance délibérée de certains médias globaux à détruire méthodiquement leur convivialité, car elle semble à ce jour plus présente que jamais et, comme l’a indiqué Santimi, « les acteurs (de cette déstabilisation programmée de longue date) sont toujours là , quand bien même ils porteraient des casquettes différentes ».[52]
Le gouffre creusé par l’incidence des médias dans les crises dans cette région est si béant que le remblayer imposerait une nouvelle prise de conscience de tous les acteurs impliqués, dans une dynamique réellement progressiste et donc loin de toutes formes de tentation de pérenniser les réminiscences anachroniques que sont les interactions de type coloniale.
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[1] LUSCOMBE B., « Things are never what they seem », dans Time Europe Magazine, N°24/2018, Vol. 191, 25 juin 2018, timeeurope.com, Amsterdam, p. 18.
[2] MENDE O.L., Congo Kinshasa, au-delà de l’urgence humanitaire, éd. AGB, Kinshasa, 2011, p. 14.
[3] Ibidem.
[4] Ibidem, p. 12.
[5] BRAECKMAN C., dans Le Soir, Bruxelles, le 26 octobre 2010.
[6] MENDE O.L., Op. cit., p. 15.
[7] NSAL’ONANONGO O.C., Le christianisme à l’épreuve des défis socio-politiques de la région des Grands Lacs, éd. L’Harmattan, Paris, 2017, p. 24.
[8] Le Larousse illustré, ed. Larousse Marigny le Chatel, 2009, p. 632.
[9] Ibidem.
[10] Augustin Matata Ponyo Mapon, Préface de Kabila et le réveil du géant, le regard des uns et des autres, ouvrage collectif sous la direction de Lambert Mende Omalanga, Editions L’Harmattan, Paris, 2015, p. 13.
[11] SENDWE D., disponible sur Google, N°5504898, posté le 03 juillet 2007 sur avec l’autorisation des éditions Larousse.
[12] ZAOURI F., « Je médis, donc je suis », dans La revue, Bimestriel N°59-60/ janvier-février 2016, p. 165.
[13] BENSIMON C., disponible sur LeMonde.fr, du 26 février 2014.
[14]Ibidem.
[15] Entretien avec l’auteur, Gisenyi, octobre 1999.
[16] Le chef de l’Etat et ses partisans estimaient qu’il achevait son premier mandat électif alors que l’opposition était d’avis que le principe constitutionnel de la limitation à deux des mandats présidentiels devait être rétroactif.
[17] SHIMIRIMANA E. et Action, disponible sur fr.wikipedia.org, 2015.
[18] Disponible sur wwwlobservateur.bf
[19] Disponible sur aujourd8.net.
[20] La France a pris la tête d’une vigoureuse campagne en faveur de la désignation de Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères et Porte-parole du gouvernement rwandais à la tête de l’Organisation Internationale de la Francophonie.
[21] « RD Congo : Désirs d’Avenir »,dans Jeune Afrique, N°200391 du 29 octobre 2015.
[22] MENDE O.L., « Communication du Gouvernement », dans Le Maximum, bi-hebdomadaire, N°1029, Kinshasa, le 04 avril 2018.
[23] M’BOKOLO E., « Mémoire d’un continent », sur RFI, le 15 juillet 2018.
[24] Patrice-Emery Lumumba, Premier Ministre congolais et leader de la majorité parlementaire issue des premières élections générales du Congo indépendant a été neutralisé puis assassiné début 1961 après avoir dénoncé à maintes reprises la volonté de la Belgique de « balkaniser » le Congo, quelques jours après son accession au pouvoir en 1960.
[25]SANTIMI G.L., Relations Nord-Sud, un grand scandale : le cas de la RDC et des pays de la zone CFA, éd. Monde Nouveau/Afrique Nouvelle, Saint-Légier-La Chiésaz, 2014, p.65.
[26]TURPIN S., « RDC : Tout sur la crise », dans New Africa Magazine, N°6, Janvier-Février 2009, p.15.
[27]SANTIMI G.L., Op. cit., p.66.
[28]WITTE L. (de), L’Ascension de Mobutu, Ed. InvestigAction, Bruxelles, 2017, p. 214.
[29]BRAECKMAN C., « Les infiltrations rebelles au Rwanda », dans Le Carnet de Colette Braeckman, disponible sur blog.lesoir.be, Bruxelles, le 17 juillet 2018.
[30]Ibidem.
[31] Disponible sur afrique.lalibre.be, consulté le 20 août 2018.
[32]Ibidem.
[33] KONAN V., Si le Noir n’est pas capable de se tenir debout, laissez-le tomber. Tout ce je vous demande, c’est de ne pas l’empêcher de se tenir debout, éd. Michel Lafon, Paris, 2018, p. 211.
[34]« Nous avons trahi Lumumba », dans Jambo Magazine, 29 juin 2017, disponible sur www.jambomag.com, consulté le 29 Août 2018.
[35]Ibidem.
[36]Ibidem.
[37]Ibidem.
[38] « Quand Médiapart révèle le vrai visage de Jeune Afrique », disponible sur niarela.net, consulté le 30 Juillet 2018.
[39]Ibidem.
[40]EBOUSSI-BOULAGA F., Christianisme sans fétiches. Révélation et domination, éd. Présence Africaine, Paris, 1981, p. 221.
[41]NADOULEK B., « L’universalisme et les droits de l’homme remis en question », disponible sur www.nadoulek.net, consulté le 2 août 2018.
[42]MENDE O.L., Op. cit.,p. 23.
[43]MUGANGU S., « La mise en œuvre des droits de l’homme : problèmes théoriques et pratiques », in Séverin Mugangu (dir.), les droits de l’homme dans la région des Grands Lacs. Réalités et illusions, éditions Académia-Bruylant, Louvain-La-Neuve, 2003, p. 27.
[44] KONAN V., Op. cit., p. 70.
[45]Ibidem, p. 71.
[46]CESAIRE A., Discours sur le colonialisme, Présence Africaine Editions, Paris, 1995.
[47]FANON F., Peaux noires et masques blancs, « Esprit », Editions du Seuil, « Points Essais », Paris, 1952, 1971.
[48]OTTAWAY M., Communication à la Commission Afrique du Sénat, Washington DC, 8 juin 1999.
[49] Paul Kagamé, Entretien avec Robin Wright, dans Los Angeles Times, 18 mars 2001.
[50] Disponible sur www.washingtonpost.com, 10 mars 2018.
[51] Réaction du Président de l’Assemblée nationale à la présentation des contrats chinois par le Ministre des Infrastructures, Travaux Publics et Reconstruction, Kinshasa 2008.
[52]SANTIMI G.L., Op. cit., p.67.