Joseph MBALA KONYI
Assistant à l’Université Pédagogique Nationale/RDC
RESUME
La présente réflexion se veut participative au débat datant depuis l’accession de la République Démocratique du Congo (RDC) à l’indépendance jusqu’à ce jour. Le débat est celui de la forme de l’Etat d’après laquelle la RDC doit être gouvernée. Les uns pensent que l’Etat fédéral provoquerait le développement du pays, alors que les autres estiment que le fédéralisme est un piège qui tend vers la balkanisation du Congo et proposent un Etat unitaire. C’est ce que nous nous proposons de scruter dans les lignes qui suivent.
Mots-clés : décentralisation, unité nationale, développement local
INTRODUCTION
De prime à bord, il convient de noter que la RDC est un Etat qui a connu des problèmes liés à la forme d’Etat. En effet, la Belgique (monarchie constitutionnelle) qui avait colonisé ce grand Etat d’Afrique centrale avait calqué le modèle de loi fondamentale qui allait régir la RDC (une République) sur la constitution belge.
Pour cela, une divergence d’opinions est restée longtemps irrésolue, comme il convient de rappeler qu’en 1961, les fédéralistes basés généralement au Katanga avec Moise Tshombe et au Bas-Congo avec l’ABAKO (défendant le droit coutumier et l’autonomie du Bas-Congo) ont posé d’énormes problèmes au Premier Ministre Patrice Emery Lumumba alors unitariste. Plusieurs tentatives de solutions ont été initiées mais en vain. La situation est demeurée sans une solution durable, bien qu’un calme apparent ait été observé sous la dictature du régime Mobutu.
A l’arrivée au pouvoir de l’Alliance des Forces Démocratique pour la Libération du Congo (AFDL), le 17 mai 1997, le même débat va renaitre mais cette fois-ci sous une autre forme. Les belligérants accusant M’zée Laurent Désiré Kabila d’avoir pris le pays en otage alors qu’eux aussi voudraient gérer.
Après la mort de ce dernier, un accord global et inclusif signé à Sun City le 01/04/2003, a été imaginé de manière à réconcilier les deux tendances. C’est alors que le pouvoir constituant installé par cet accord va penser un Etat unitaire fortement décentralisé dans le souci de faire taire les divergences entres fédéralistes et unitaristes.
De ce qui précède, nous pouvons résumer notre dissertation scientifique en deux questions ci-après : La décentralisation peut-elle favoriser l’unité nationale en RDC ? Peut-elle booster le développement en partant des entités de base ?
Sans vouloir anticiper, notons que la décentralisation serait une menace contre l’unité nationale. En effet, la RDC, Etat constitué de plusieurs ethnies et tribus auraient du mal à se mettre ensemble et à construire une bonne intégration nationale. Par la décentralisation, le développement local serait possible. Toutefois, il sied de noter que ce dernier ne pourrait pas être total tant que d’autres provinces seraient pauvres et sans ressources de développement.
Par ailleurs, soulignons qu’en dehors de la présente introduction et de la conclusion qui va sanctionner notre analyse, nous allons réfléchir autour des points suivants : Les considérations générales ; La décentralisation en RDC, et enfin, le souci de l’unité nationale et l’impératif d’un développement local en rapport avec cette décentralisation.
I. CONSIDERATIONS GENERALES
A travers ce point, nous allons définir les termes fondamentaux relatifs à notre texte. En effet, avant d’effectuer une évolution dans la matrice du sujet selon la conception scientifique ou la philosophie de cette étude, il est important d’expliciter les concepts basiques utilisés d’une manière globale.
En d’autres termes, toute recherche scientifique exige l’utilisation d’un certain nombre de concepts. Ainsi, pour éviter l’ambigüité et la confusion que ces derniers peuvent engendrer à la suite d’un usage abusif, il est nécessaire de préciser les contours de chacun d’eux afin d’avoir un cadre unique de référence.
I. 1. Décentralisation
La décentralisation est le transfert d’une partie du pouvoir et des ressources de l’Etat national à des instances régionales ou locales ou à des organisations paraétatiques. Elle est une forme politique par laquelle, le gouvernement central cède formellement des prérogatives à des acteurs et à des institutions au niveau plus bas de la hiérarchie politique, administrative et territoriale, pour contribuer à consolider l’unité nationale, donner une plus grande efficience au processus démocratique, promouvoir l’équité dans l’utilisation des ressources publiques et dans la fourniture des services publics de l’Etat.[1]
La décentralisation consiste à créer plusieurs centres d’impulsions des décisions. Elle est la pratique de la délégation du pouvoir par les autorités centrales aux autorités locales.[2] La décentralisation est aussi, un système des structures administratives de l’Etat qui accorde des pouvoirs de décisions et de gestion à des organes autonomes régionaux et locaux dotés de la personnalité juridique. Par ailleurs, la décentralisation se conçoit sous plusieurs aspects, notamment, politique, administratif, territorial etc. qu’il convient d’expliquer.
La décentralisation politique s’accompagne des élections qui permettent aux populations concernées de se choisir des autorités qui maitrisent les problèmes de leurs milieux et qui siégeront pour leur compte.
Décentraliser administrativement, c’est transformer les centres de répercussions qui étaient des provinces, district, territoires en centres d’initiatives, d’impulsions, des décisions et des responsabilités d’une part, et promouvoir l’adaptabilité des décisions au milieu, contexte et circonstances dans lesquels elles sont prises d’autre part.
La décentralisation territoriale, pour sa part, est comprise comme un processus qui aboutit à la création des collectivités locales. Ces dernières sont appelées d’après la législation en vigueur, « entités territoriales décentralisées ». Elles sont : La ville ; la commune ; le secteur et la chefferie.
La décentralisation a plusieurs avantages et inconvénients. Parmi les avantages on note : la participation des entités décentralisées à la gestion du pays ; la souplesse et la rapidité dans la gestion de la chose publique ; l’adaptation des décisions administratives aux contingences locales ; le développement de l’esprit civique et public du citoyen et il s’initie à la gestion des choses publiques au niveau local.[3]
Quant aux inconvénients, il y a : le risque de méconnaître l’intérêt général au profit des intérêts régionaux et locaux ; elle peut être source de gaspillage et des désordres financier, dans le cadre de la décentralisation financière, et de la décentralisation technique si la gestion des affaires publiques est livrée aux cadres et agents incompétents.
De toutes les façons, si la décentralisation est bien conçue et comprise, elle est sans doute un facteur du développement, tant local que national.
I. 2. Développement
Le concept développement revêt plusieurs conceptions, plusieurs théories selon qu’il y a deux auteurs. A en croire Paul Robert, cinq sens peuvent désigner le développement : Action de donner toute son étendue ; Progrès en extension ou en qualité ; Exposition détaillée d’un sujet ; Phase de la fabrication d’un produit, d’un matériel qui suit sa conception et qui se termine à la réalisation de « têtes de série ».[4]
Le premier et le troisième sens nous semble intéressant bien qu’incomplet. Ntuaremba Onfre quant à lui, comprend ce vocable à partir de son opposé, qui est le sous-développement. D’après lui, le sous-développement implique une dénomination et une exploitation économique ayant pour corollaire une domination politique et culturelle.[5]
C’est dans cette optique que l’auteur en disant qu’il existe divers types de développement, le définit comme celui dérivant simplement de l’ajustement aux exigences de l’expansion du système mondial, non seulement nécessaire du point de vue des intérêts de la grande majorité des peuples du tiers monde mais possible, y compris techniquement.[6]
Cette conception nous intéresse autant, dans la mesure où elle prend en compte le monde et toutes ses mutations et évolutions technologiques. Lesquelles sont devenues comme une condition sine qua none même pour le développement local.
Dans le même ordre d’idée, la définition de Banyaku Luape Epotu nous parait encore utile en ce qu’il considère le développement comme un phénomène de changements sociaux dans le sens d’actualisation des modes d’existence humaine ou sociale et de qualification des finalités sociales.[7]
A côté de lui, une conception apparente d’André Kasay conçoit le développement comme un « progrès, une transformation sociale. »[8] Pour y arriver, il faut mobiliser les ressources humaines naturelles et résoudre des difficiles problèmes humains et environnementaux. Bref, le développement nécessite l’actualisation des potentialités tant individuelles que collectives en vue de l’amélioration d’un certain rapport en la matière.
II. LA DECENTRALISATION EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
Au cours de ce deuxième point, nous allons présenter de manière synthétique, les tentatives de la décentralisation ou encore les initiatives qui ont été prises dans ce sens depuis la première République jusqu’à la troisième République, en passant par la deuxième République.
II. 1. L’initiative de la décentralisation sous la Première République
La loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo, élaborée sur base des résolutions de la table ronde politique belgo-congolaise qui eut lieu à Bruxelles en janvier 1960 relative aux libertés politiques, toutes deux votées au parlement Belge, était pratiquement la première constitution de la République Démocratique du Congo.[9]
Ainsi, les résultats des élections de mai 1960 prévues dans la loi fondamentale du 19 mai 1960 donnèrent naissance : Au régime parlementaire ; Aux provinces dotées de la personnalité juridique ayant en leur sein, les assemblées provinciales, les gouvernements provinciaux élus par les assemblées provinciales ; le parlement bicaméral au niveau national ; le gouvernement central responsable devant le parlement.
Faisons savoir que la RD Congo, n’était pas crédité, à l’instar de certaines colonies françaises et anglaises, d’une élite capable d’appréhender avec grande clairvoyance les problèmes d’intérêt général. La conséquence de cette impréparation s’est très vite fait sentir sur tout le plan, dont la décentralisation fait l’objet d’une attention particulière dans cette étude.
Les dirigeants congolais plongèrent rapidement dans la turbulence de la politique politicienne. Incapable d’expliquer à la population, le bien-fondé de la décentralisation, ils ont fait savoir à cette dernière que la décentralisation était une séparation des ethnies. Dès lors l’on ne pouvait qu’assister à des diverses sécessions et guerres civiles. Le débat est resté houleux entre, d’une part, l’ABAKO soutenu par Moïse Tshombe dans l’idéologie fédéraliste et d’autre part, le MNC de Lumumba qui soutenait l’unitarisme.
Plusieurs initiatives ont été entreprises comme la décentralisation prévue par la constitution du 1er août 1964 dite de Luluabourg qui prévoyait outre la ville de Léopoldville, 21 provinces.[10] Mais, cette décentralisation ne fut pas effective suite au coup d’Etat militaire du Général Mobutu qui mit fin à cette initiative et concentra tous les pouvoirs entre ses seules mains.
II. 2. L’initiative de la décentralisation sous la Deuxième République
Née suite à un coup d’Etat militaire du Général Mobutu, la deuxième République n’était pas épargnée au débat datant quant à la forme de l’Etat. Celle-ci comprise par la plupart de politiciens comme un partage de gâteau. Le Président Mobutu alors préoccupé à asseoir son pouvoir et le légitimer de manière à le rendre plus acceptable par tous et de manière durable, s’imagina après qu’il ait résisté aux multiples crises, à partager son pouvoir.
Mais force est de constater qu’en ce qui concerne la décentralisation sous la deuxième République, il y a eu plus d’obstacles que d’initiatives, même si ceux qui réclamaient le partage du pouvoir étaient devenus nombreux comme du sable.
D’entrée de jeu, nous notons que la décentralisation marche ensemble avec les règles de la démocratie. Or, sous la deuxième République tout a fonctionné sous l’œil dictatorial du Maréchal Mobutu. L’administration, la magistrature… étaient tenue par les militants du MPR, Parti-Etat. Comme nous pouvons illustrer cette affirmation par la loi n°70-001 du 23 décembre 1970 portant révision de la constitution du 24 juin 1967 qui stipule qu’il est inséré dans le titre III de la constitution une section intitulée : du « Mouvement Populaire de la Révolution » et comprenant un article 19 bis ainsi conçu.
Le Mouvement Populaire de la Révolution est l’institution suprême de la République. Toutes les autres institutions lui sont subordonnées et fonctionnent pour son compte et sous son contrôle.[11] Voilà pourquoi il était difficile voire impossible de parler de la décentralisation dans cet état des choses. Surtout lorsqu’on sait que la décentralisation n’a de sens que si les gouvernants sont élus par les citoyens des entités dont ils sont appelés à gérer.
Les obstacles sont légions comme le note Lundanzi que les facteurs qui empêchaient la décentralisation et le développement sont d’ordres humains, économiques et sociaux.[12]
En ce qui concerne les obstacles humains, l’homme zaïrois se cherchait encore, il n’avait pas avec lui, la maîtrise de la gestion des affaires publiques pour l’intérêt communautaire de la population.
La décentralisation bien que considérer comme un outil indispensable du développement national par la base, nous devons reconnaitre que, concrètement, la réalisation de celle-ci ne pouvait pas être possible pendant la deuxième République où, le tribalisme le copinage et le clientélisme politique entretenus par le Mouvement Populaire de la Révolution MPR en sigle, étaient le seul moyen d’accéder à des responsabilités tant politiques qu’administratives.
La décentralisation c’est aussi l’autonomie financière sans laquelle l’entité décentralisée reste une simple structure qui ne concourt pas au développement local. Pendant la deuxième République, le régime dictatorial ne pouvait nullement libéraliser le secteur économique. En fait, cette confiscation économie présentée comme l’autre gestion du pays par ses natifs, n’a servi qu’au renforcement de la puissance du Président Mobutu et ses dignitaires.
Sur le plan social, le peuple était étouffé de son esprit d’initiative par l’administration du Parti-Etat très contraignante au lieu d’être au service. Le salaire des fonctionnaires revu à la baisse, rendant difficile le pouvoir d’achat de ceux-ci. Pour survivre le fameux article 15 (« débrouillez-vous ! »), a vu le jour au risque et péril de l’administration et des administrés déjà abandonnés à leur triste sort.
Pendant ce temps, le complexe des apparences apparut chez les dirigeants mobutistes pour qui, la grosse limousine, la villa pavée des marbres, la montre en or, etc. Bref l’envie de tout posséder personnellement avait remplacé l’intérêt général.
Frustrée, la population aidée par l’armée se livra au pillage alors que le régime amplifia la spoliation en se masquant dernière la zaïrianisation. Donc, une telle population composée des dirigeants pas du tout consciencieux d’un côté, et des dirigés étouffés et terrorisés d’un autre, ne pouvait envisager une quelconque décentralisation. Moins encore la favorisée.
II. 3. L’initiative de la décentralisation sous la Troisième République
Après l’usure du pouvoir du régime Mobutu l’on ne pouvait s’attendre qu’à son déclin. Pour y arriver, un homme, M’zée Laurent désiré Kabila à la tête de l’Alliance des Forces de Démocratiques pour la Libération du Congo, AFDL en sigle, a pris les armes et a réussi à renverser le vieux Léopard. Grande a été la joie du peuple congolais qui a cru en cet homme et l’a proclamé comme libérateur.
Mais, le soldat ne pouvait vivre longtemps comme souhaiter. Il va être assassiné sauvagement par l’un de ses gardes du corps. Le pays est replongé dans le chao. Pour tenter d’apaiser les esprits des belligérants un gouvernement de 1+4 a été mise en place avec plusieurs missions dont celle de produire une constitution.
Chose faite, le 18 février 2006, cette constitution a été promulguée et c’est la naissance de la troisième République. En ce qui concerne la décentralisation, la présente constitution prévoit 25 provinces plus la ville de Kinshasa énumérées par l’article 2 de la Constitution. L’article 3 de ladite constitution ajoute que ces provinces et ces entités territoriales décentralisées de la République Démocratique du Congo sont dotées de la personnalité juridique et sont gérées par les organes locaux.
Ces entités territoriales décentralisées sont la ville, la commune, le secteur et la chefferie. Elle jouit de la libre administration et de l’autonomie de gestion de leurs ressources économiques, humaines, financières et techniques.
De toutes les tentatives de décentralisation, nous estimons que celle-ci est stable par rapport aux autres. Mais force est de constater que l’effectivité de la mise en œuvre pose problème car, les dirigeants qui sont à la tête de ces provinces sont nommés et non choisis comme le prévoit la constitution.
III. LA DECENTRALISATION EN RD CONGO : SOUCI D’UNITE NATIONALE ET IMPERATIF D’UN DEVELOPPEMENT LOCAL
Ce dernier point s’appesantit sur trois sous-points traitant des aspects divers de cette étude. La première aborde la décentralisation comme impératif du développement local, la deuxième analyse la décentralisation et l’unité nationale, la troisième et la dernière présente les perspectives.
III. 1. La décentralisation comme impératif du développement local
Chaque milieu a des problèmes spécifiques, qui nécessitent aussi des connaissances spécifiques. Pour y arriver, il faut que la gestion des affaires locales soit confiée aux mains des représentants locaux qui sont censés être suffisamment informés des problèmes de leurs milieux. La décentralisation est par là, un seul moyen d’y parvenir.
L’organisation territoriale, politique et administrative de la République Démocratique du Congo a connu diverses réformes depuis l’époque de l’Etat indépendant du Congo (1885–1908) jusqu’à nos jours en passant par la période coloniale belge (1908–1960). Plusieurs ajustements et réajustements dans le sens de la centralisation, de la déco centralisation et de la décentralisation, de la réduction et de l’augmentation du nombre des entités territoriales ainsi que de leurs appellations n’ont pas manqué de laisser des traces dans l’évolution historique de l’Etat congolais.[13]
Ces changements ont toujours été déclarés sur l’idée de mettre sur pied une territoriale de développement : le souci de bien diviser et subdiviser le territoire national afin de bien gérer pour mieux développer.
L’objectif principal de la décentralisation est la prise en charge par les populations locales de la gestion de leurs propres affaires (affaires locales) sans ignorer l’intérêt général ou national.
La réalisation de cet objectif entraine comme conséquences : Un transfert effectif des compétences aux institutions et organes locaux démocratiquement élus ; une responsabilisation des populations par la définition des compétences et des moyens d’action des provinces et des collectivités locales, ce qui entraine une redistribution des pouvoirs ; un redimensionnement de l’appareil de l’Etat et une grande participation des populations à l’exercice du pouvoir d’où la nécessité du découpage territorial, de l’organisation des élections locales et de la bonne gouvernance locale. Ce travail n’est possible que lorsque les organes des entités territoriales décentralisées prévus par les législateurs sont rendus effectifs.[14]
L’octroi aux provinces et aux entités territoriales décentralisées des compétences et des ressources propres entraine la création de plusieurs centres de décisions, d’impulsions et de gestions de la vie économique. La décentralisation consacre le passage d’une situation où l’Etat (gouvernement central) était le principal et l’unique agent économique à une autre situation marquée par le partage des responsabilités entre l’Etat et les provinces et entre ces dernières et les collectivités territoriales ainsi que le secteur privé. Ce partage a pour conséquence le désengagement progressif par l’Etat des plusieurs secteurs et domaines d’intervention d’intérêt local et provincial en faveur des niveaux appropriés de pouvoir et de gestion.
La difficulté à ce stade est que non seulement, l’effectivité des entités territoriales décentralisée pose problème, mais aussi et surtout que ses ressources financières propres, celles provenant des recettes à caractère national allouées aux provinces, de la caisse nationale de péréquation ainsi que les ressources exceptionnelles ne sont toujours pas rendues aux entités territoriales décentralisées.
Qui plus est, la décentralisation entraine une profonde mutation socioculturelle en permettant le rapprochement de l’administration et les citoyens et en favorisant son adaptation aux réalités culturelles de chaque entité. Par exemple l’administration d’une entité rurale n’a pas les mêmes problèmes que celle d’une population urbanisée. Par conséquent, les méthodes d’encadrement administratif ne doivent pas rester exclusivement rurales dans une entité en voie d’urbanisation rapide.
De la même manière, l’administration d’une population qui comporte des communautés des langues ou des religions différentes, doit résoudre les problèmes de cohabitation qu’une collectivité homogène (mono linguistique ou mono religieuse) ignore. La présence des plusieurs tribus, des cultures différentes, constitue un obstacle majeur à ce vaste programme. D’où la nécessité d’une forte sensibilisation pour la conscientisation des masses qui doivent s’accepter mutuellement.
III. 2. Les défis de la décentralisation
La décentralisation est la condition sine qua non du développement local. Sa réussite entraine inévitablement un développement harmonieux, durable et adapté aux problèmes socio-économiques et politiques de base. Pour cela, les défis suivants doivent être pris en considération afin d’y parvenir. Il s’agit de :
- La réforme de l’Etat : il s’agit de redéfinir le rôle de l’Etat en recentrant ses fonctions sur les missions régaliennes (à savoir ; la défense, la sécurité, la justice, la diplomatie et normative en ce qui concerne les autres secteurs ;
- La promotion de la démocratie à la base à travers l’organisation périodique des élections de proximité et la participation de la population à la gestion des affaires qui la concernent directement ;
- La promotion du développement local : il s’agit, à partir d’un plan de développement, de mobiliser les citoyens et citoyennes autour d’un idéal commun afin de construire une vision à moyen et long terme.
Pour atteindre ces objectifs, la mise en œuvre effective de la décentralisation et par elle, le développement local est possible. De ce qui précède, notons que la décentralisation et le développement sont une réalité d’autant plus que le développement est avant tout fonction de la population. Il n’est certain et cohérent que lorsque la population locale y participe et est actrice en apportant des solutions aux problèmes qui sont les siens.
Bien que la décentralisation soit un chemin autorisé du développement local, elle reste à notre un danger quant à l’unité nationale dans le contexte actuel de la RDC.
III. 3. La décentralisation et l’unité nationale
La décentralisation mal comprise frise l’unité nationale. Dans le contexte congolais et au regard de notre recherche, nous pensons que la RDC est loin de faire l’unanimité quant aux préalables de la décentralisation. Les derniers sont nombreux, mais nous pouvons retenir la présence d’une armée forte, d’une économie prospère et d’un sentiment de vivre ensemble.
En effet, la RDC est un grand pays à dimension continentale. Ainsi, sa sécurité posait de sérieux problèmes alors qu’elle ne disposait que de onze (11) provinces. La question que nous pouvons nous poser est celle de savoir si cette sécurité existe alors que nous avons 26 provinces ?
Déjà en 2010, Yves Lacoste, classait la RDC parmi les Etats faillis. Ces derniers sont ceux dont les gouvernements ne contrôlent pas effectivement le territoire.[15] Ce vide constitue un défi sécuritaire. L’absence du contrôle du territoire est souvent le résultat d’une situation conflictuelle, d’un affaiblissement des structures étatiques, de la compétition de plusieurs groupes pour le contrôle d’une ou plusieurs ressources, comme c’est le cas entre la RDC et le Rwanda à l’est du pays, l’Angola et la RDC à l’Ouest. C’est donc un Etat qui n’arrive plus à contrôler ses frontières. Bref, il ne remplit plus ses missions régaliennes.
Armée faible, infiltrée, politisée et où le tribalisme bat son plein au détriment de la méritocratie. Or une armée n’est forte que lorsque les compétents sont promus. Au sein de l’armée congolaise, on trouve les antivaleurs tels que : le népotisme, le clientélisme, le tribalisme. Mais l’armée forte est fonction d’une économie forte et prospère, car les minutions, la formation des militaire nécessitent les moyens conséquents.
Le passage d’un pays unitaire à un autre mais fortement décentralisé implique des moyens énormes. Ces moyens vont consister, d’une part, à faciliter la sensibilisation en faveur de la réussite de la décentralisation, tout en mobilisant les ressources humaines et matérielles ou logistiques ainsi que l’installation des nouvelles provinces, d’autre part.
Cette installation consiste notamment à rendre disponible les infrastructures de base, c’est-à-dire les routes surtout celles de dessertes agricoles, les bâtiments devant abriter les nouvelles provinces de peur à trouver certains sièges sous les arbres. L’armée forte et une économie prospère ne suffisent pas. Il faut absolument que les congolais et congolaises acceptent de vivre ensemble.
Nous avons dit précédemment que la réussite de la décentralisation dépend d’abord de la population congolaise. Mais, l’histoire de la RDC renseigne que les congolais sont dominés par les idées sécessionnistes gage des colonisateurs belges. La mutinerie du Katanga et celle du Kasaï amorcées à l’aube de l’indépendance en sont des exemples frappants.
Dans le même ordre d’idée, les mêmes problèmes se posent déjà quant à l’actuel programme de décentralisation.[16] Il s’agit notamment de la qualité de chef-lieu de province qui est contestée pour la Ville de Lusambo dans la province du Sankuru non seulement parce que cette ville est située en région Luba, alors que la majorité de la population est Tétéla, mais parce qu’elle est excentrique et difficilement accessible par les Tétéla, qui se réclament propriétaires de la dite province.
Le choix de la ville de Kabinda comme chef-lieu de la province de Lomami n’arrange pas tout le monde, étant donné que l’on considère la ville de Mwene-Ditu comme économiquement plus viable et plus accessible. Mais aussi parce que les Luba ressortissants de cette ville n’acceptent pas d’appartenir à la province de Lomami qu’ils considèrent comme étant un espace des Songié.
Eu égard à ce qui précède, nous pouvons affirmer notre hypothèse selon laquelle que la décentralisation à l’heure actuelle constitue une menace à l’unité nationale. Qu’est-ce qu’il faut pour remédier à cette situation, étant donné que la décentralisation est un impératif du développement bien qu’il constitue cette menace à l’unité nationale.
III. 4. Perspectives
Aucune forme de l’Etat (unitaire ou fédérale) ne conduit pas automatiquement au développement de la nation. Néanmoins le choix entre les deux formes est inévitable en faveur de la forme la plus appropriée à un contexte donné. Il est donc utile de bien saisir les avantages et les inconvénients de chacune d’elles.
Au terme de cette réflexion, il est possible de comprendre que l’optique pour la décentralisation forte est à même d’aider la RDC à atteindre avec beaucoup d’efficacité et de rapidité le développement économique, politique, social et culturel auquel le peuple aspire. Pour y parvenir, quelques pistes sont à envisager :
- La réforme de l’Etat : il s’agit de redéfinir le rôle de l’Etat en recentrant ses fonctions sur les missions régaliennes (à savoir, la sécurité, la sécurité et la diplomatie) et normatives (en ce qui concerne les autres secteurs). Cette réforme est d’une importance capitale, voir impératrice d’autant plus que la réussite de la décentralisation et la sauvegarde de l’unité nationale passent par elle.
- La promotion de la démocratie a la base : elle est possible à travers l’organisation périodique des élections de proximité et la participation de la population à la gestion des affaires qui la concernent directement. Ces élections doivent être libres, crédibles et transparentes de telle sorte à permettre la population de se choisir les dirigeants qui maitrisent réellement leurs problèmes.
- Une forte sensibilisation : Il s’agit, à partir d’un plan de développement, de mobiliser les citoyens autour d’un idéal commun afin de construire une vision du développement durable. La sensibilisation se veut très forte et c’est par elle que la culture de l’échec sera évitée. Nous ne cessons de le rappeler tout au long de cette étude que les initiatives de la décentralisation ont été entreprises depuis la décolonisation, mais toutes ont été vouées à l’échec par manque d’une sérieuse sensibilisation.
D’un autre coté il nous faut souligner que la mobilisation n’est seulement populaire ou humaine, mais aussi et surtout matérielle (surtout financière). La décentralisation ne sera que pure fiction si les moyens conséquents ne sont pas mobilisés. Cela appelle en termes de perspectives que quatre défis soient relevés à savoir :
- La volonté politique du pouvoir central : qui doit se traduire dans les actes et non dans les simples déclarations d’intention. Un pouvoir trop préoccupé par sa survie politique risque de faire trainer le processus de la décentralisation en le considérant comme un obstacle à la jouissance de la plénitude du pouvoir ;
- Le respect de l’autonomie des provinces et des Entités Territoriales Décentralisées (ETD) : le pouvoir central est mis à défi de respecter l’autonomie des provinces et des ETD pour que celles-ci puissent agir de manière affranchie dans leurs domaines de compétence propre ;
- La capacité de gestion rationnelle des conflits : des conflits divers peuvent naître entre l’Etat et les provinces, entre les provinces et les ETD et à l’intérieur de celles-ci. La réussite de la décentralisation dépendra de la capacité de résolution de ce type des conflits ;
- La sauvegarde de l’unité nationale : la décentralisation doit contribuer non seulement à la consolidation du processus démocratique et du développement local, mais aussi de la paix et de l’unité nationale. Il faut donc éviter que la décentralisation ne puisse servir de simple prétexte aux seigneurs de guerre pour activer des conflits ethniques et interprovinciaux.
CONCLUSION
La présente réflexion a porté sur « la Décentralisation en République Démocratique du Congo : souci de l’unité nationale et impératif du développement local ». Pour bien cerner l’essentiel de notre étude, nous l’avons divisé en trois points hormis l’introduction et la conclusion. Le premier a présenté les considérations générales, le deuxième a fait le contour du processus de décentralisation en RDC. Le troisième et le dernier s’est attelé à la décentralisation en RDC, souci de l’unité nationale et impératif du développement local.
A la lumière de nos investigations, nous affirmons que la décentralisation est synonyme du développement local. C’est pourquoi les gouvernants et les différents partenaires à ce processus doivent s’y mettre pour doter aux institutions des entités territoriales décentralisées, une autonomie de gestion financière et politique. Conscientiser les élus au respect de l’impérieux devoir (d’intérêt général) qu’ils ont reçu du souverain primaire. Ce devoir est de légiférer et plaider en faveur des entités locales dans le compte desquelles ils ont été élus.
Notre inquiétude est le fait que malgré que la décentralisation puisse facilement susciter le développement local, elle peut cependant, dans le contexte de désordre de notre pays, occasionner la balkanisation. Nous avons évoqué précédemment que la RDC est un pays qui dispose d’une population à sentiment tribal et sécessionniste. La décentraliser c’est faciliter la voie à la menace de l’unité nationale.
Faut-il rompre avec ce programme ? Nous disons non ! Mais parce que ce sujet nous met dans l’embarras entre le développement local et l’unité nationale, nous suggérons qu’une forte sensibilisation soit préconisée. La disponibilité des moyens financiers, matériels et humains est impérieuse.
En définitive, la réussite de l’unité nationale et du développement local à travers la décentralisation exige aux gouvernants et gouvernés un réel état d’esprit décentralisé. Par état d’esprit décentralisé, nous entendons que gouvernants et gouvernés doivent comprendre que la décentralisation est une subdivision territoriale ou administrative qui vise à rapprocher les instances décisionnelles aux entités concernées et ne jamais comprendre que la décentralisation est une séparation des ethnies.
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[1] MABIALA M.N.P., Le processus de démocratisation en RDC, éd. Fondation Konrad, Kinshasa, 2009, p. 15.
[2] MAKENGO A., Institutions politiques congolaises, L’Harmattan, Paris, 2008, p. 22.
[3] IBULA M.K., La consolidation du management du Zaïre, PUZ, Kinshasa, 1987, p. 46.
[4] ROBERT P., Dictionnaire le petit Robert, éd. Le Robert, Paris, 2006, p. 529.
[5] NTUAREMBA O.L., Le développement endogène : données pour une nouvelle orientation théorique, éd. Universitaires africaines, Kinshasa, 1992, p. 23.
[6] Ibidem, p. 30.
[7] BANYAKU L.E., Aperçu sur les études sociales de développement, discours critique et panoramique, PUZ, Kinshasa, 1990, p.1
[8] KASAY M. A., « Analyse de la coopération économique Congo-CEE : portée et limites », Mémoire de Licence, FEGI, ISPL, 2002, p. 10.
[9] TALANGAYI F., RDC de l’an 2001 déclin ou déclic, éd. Analyse sociale, Kinshasa, 2002, p. 47.
[10] IYELEZA M.M. et. al., Recueil des textes constitutionnels de la République du Zaïre, du 19 mai 1960 au 28 avril 1991, éd. ISE Consult, Kinshasa, 1991, p. 33.
[11] Loi n°70-001 du 23 décembre 1970 portant révision de la constitution, art. 4.
[12] LUNDANZI M., cité par TSHITENGE R., « La décentralisation politique, administrative et territoriale comme un facteur de développement des entités locales. Cas de la RDC de 1960 à 2006 », TFC, G3 SPA, UPN, 2008, p. 28.
[13] TOENGAHO F., Guide du formateur sur la décentralisation sectorielle, UADS, Kinshasa, 2009, p. 3.
[14] Loi organique n°08/016 du 07 oct. 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les provinces art. 7, 47, 69.
[15] LACOSTES Y., La géopolitique des Etats sous-développés, Maspero, Paris, 2010, p. 44.
[16] Rapport annuel de la CTAD, 2012, p. 21.